La revue d'architecture et de design
Interview : Florian Dach / Dimitri Zephir Designers
Après avoir remporté le concours Samsung Launching People avec son projet «PETIT POUCET» en 2013, le jeune étudiant en design Florian Dach s’est à nouveau fait remarqué l’année dernière en remportant le premier prix du concours CINNA pour le projet « RITE », réalisé en collaboration avec Dimitri Zephir. Quels projets nous réservent-ils pour 2015 ? Partons donc entre Paris et Singapour à la découverte de ce binôme aussi prometteur qu’inspirant…
– Pouvez vous nous présenter vos parcours respectifs ainsi que les raisons qui vous ont amenés à collaborer ?
Florian Dach : En ce qui me concerne, j’ai tout d’abord fait un BAC en marketing après avoir essayé à plusieurs reprises d’intégrer les arts-appliqués. Mais j’ai finalement été accepté dans une MANAA (mise à niveau en arts appliqués), qui m’a permis d’effectuer un BTS design de produit à l’ESAAB de Nevers.
Après l’obtention de mon BTS, j’ai passé le concours d’entrée des Arts Déco de Paris, en deuxième année design d’objets. Depuis je suis passé par le studio Joran Briand à Paris ainsi que chez Big Game à Lausanne. Je suis actuellement en échange pour cinq mois à National University of Singapore dans le cadre de ma 4éme année.
Dimitri Zephir : Pour ma part, j’ai un cursus assez classique au sein des arts-appliqués. Après une troisième latiniste, je me suis orienté vers le seul cursus des arts-appliqués des Antilles, proposé par le lycée Rivière des Pères en Guadeloupe. Après mon BAC, j’ai eu la chance d’intégrer le secteur design de produits de l’école Boulle à Paris. Ensuite, comme Florian, j’ai passé le concours d’entrée des Arts Déco de Paris, en deuxième année design d’objets. Depuis j’ai travaillé aux studios de Jean-Sébastien Lagrange à Paris et de Dimitri Bähler à Bienne. Dans le cadre de la 4eme année, j’ai effectué mon échange à l’ECAL à Lausanne, et viens tout juste d’y revenir.
La collaboration entre nous s’est faite de manière très naturelle, et ce depuis la deuxième année aux Arts Déco. Tout en étant assez différents, on est passionnés par l’artisanat, on partage des valeurs communes, des questionnements relatifs à la création et sur le sens que l’on peut donner au métier de designer; ce qui nous a poussé dès que l’occasion s’est présentée à travailler à deux têtes, quatre mains. Des travaux de recherches, l’écriture de textes, puis quelques concours, notamment Cinna en 2014.
– Qu’apporte le travail en binôme à votre démarche créative ?
Dimitri Zephir : On insiste beaucoup pour dire que les projets que l’on mène sont faits et pensés à deux têtes. Ce constant va-et-vient permet d’avoir un certain recul et de s’en assurer la validité. Quand on commence un projet, on discute énormément !
Pour réellement peser le poids de notre proposition, à tour de rôle, on déconstruit le projet, pour ensuite le reconstruire. La finalité est donc une belle balance entre nos propositions respectives. On se nourrit l’un de l’autre.
Du fait de nos différences culturelles, nous n’abordons pas un projet de design de la même façon. Ce sont justement ces différences qui nous intéressent chez l’un et chez l’autre car elles permettent de le construire sur des bases plus riches.
Florian Dach : Chez Dimitri, la question de l’histoire, du passé, de la narration est récurrente. Parce qu’il a grandi aux Antilles et que la culture du conte est y est très présente, l’aspect culturel et narratif de l’objet est un élément fort. C’est d’ailleurs sa porte d’entrée pour construire un projet. Aussi, il s’intéresse beaucoup aux façons d’être, de faire de chacun, la façon dont les gens vivent. Il dessine, se nourrit beaucoup d’images, de lectures et de photographies. Cela crée un univers assez chargé, hybride dans lequel il s’agit toujours d’en tirer le meilleur et de l’appliquer à quelque chose de plus rigoureux qu’est le projet.
Dimitri Zephir : Chez Florian, l’approche est plus pragmatique et technique. Il a une bonne connaissance des matériaux et des process, et place donc très rapidement le projet dans le réel. Il est curieux de l’objet, s’intéresse à la façon dont les choses tiennent, se forment, se construisent. De part sa formation en marketing, il porte un regard attentionné sur la potentielle cible, son mode de vie, son environnement, ses habitudes mais aussi l’environnement de l’entreprise pour laquelle on travaille, ses concurrents, ses moyens de production et surtout son histoire.
Ainsi, dans notre démarche de création, les projets sont des histoires créées ou observées, analysées, que l’on cherche à rendre compte à travers des formes, des matières. Souvent, on utilise la technique pour raconter cette histoire.
C’était le cas de Rite, le projet présenté à Cinna, qui, pour nous, est avant tout l’histoire d’un lieu (l’entrée, une sorte de fourmilière en mouvement). Il s’agissait donc de raconter ce mouvement, ce passage. Le rail et l’assemblage en queue d’aronde de l’objet sont à la fois des éléments techniques puisqu’ils permettent de fixer les différents éléments, mais ils sont aussi un détail narratif, une sorte de colonne vertébrale qui raconte le scénario de vie de l’objet, puisque ceux-ci sont aussi des choses en mouvement qui parlent de l’espace où ils sont posés.
– Quelles sont vos sources d’inspirations ?
Florian Dach : Les studios tel que Form us with love, Big Game ou encore Benjamin Hubert m’ont beaucoup influencé dans ma façon de faire et de penser le projet. Mais pour ce qui concerne mes sources d’inspiration directes lorsque je réalise un projet j’essaye de plus en plus de m’éloigner des « objets design » car en regardant trop de « design » on en vient à faire comme les autres.
Je préfère découvrir de nouvelles choses ! Je suis donc avide de chaînes YouTube, de “vulgarisation” scientifique comme Vsause ou Epenser, je regarde aussi énormément de documentaires pendant mon temps libre.
Pour moi comprendre le monde qui nous entoure à différentes échelles joue un rôle important dans ma façon de penser le projet.
Et pour ce qui est des figures qui « m’inspirent » de façon plus générale, je citerais Elon musk (créateur de Tesla & SpaceX) et le mouvement radical Italien (avec une préférence pour le travail Sottsass et Branzi). Car la prise de risque est quelque chose de rare aujourd’hui, ce qui la rend encore plus précieuse et respectable.
Dimitri Zephir : Il y a bien sûr des designers qui m’intéressent. Mais au delà des projets, ce sont plutôt les valeurs qu’ils incarnent qui m’inspirent, car tout simplement je m’y retrouve. Je suis un grand fan aussi de la pensée radicale Italienne, et particulièrement d’Ettore Sottsass que je trouve pertinent et séduisant à tous les niveaux.
Le travail de Doshi-Levien ou encore des FormaFantasma m’interpelle. J’aime ce qu’il raconte. Parce que j’aime les choses chargées, riches en histoires. Ce qui m’intéresse, c’est toujours comment un objet peut incarner ces histoires, les transporter. Et finalement ces histoires là, elles sont présentes dans les cultures. Pour ça, l’anthropologie des peuples et des cultures m’attire beaucoup.
Mais les inspirations ne s’arrêtent pas au design, elles sont présentes dans les lectures, les rencontres que je fais. Je collecte énormément d’écrits, d’images de choses que je trouve sur ma route, de photographies d’artistes. A priori, même si ces choses là sont quelque peu éloignées du design, une photographie de Viviane Sassen, d’un vieux métier d’antan où encore d’un hipster prise sur le vif, me parlent autant qu’un assemblage de bois, ou un balai sans poils auquel on a greffé un vielle toile. Je suis à la recherche constante de détails qui parlent de la vie !
– Votre meuble RITE, récompensé par le concours CINNA est maintenant distribué par Ligne Roset. Quelle à été l’accueil du public ?
Rite est maintenant distribué par Ligne Roset et Cinna, ce qui pour nous est extrêmement gratifiant comme l’a été le fait de remporter le premier prix du jury. Ce qui nous fait peut-être le plus plaisir, c’est d’obtenir la confiance de personnalités du métier, alors que nous sommes encore étudiants. Ça nous conforte dans l’idée que l’on est certainement sur la bonne voie.
Les retours, depuis le salon Maison & Objet où a été présenté Rite pour la première fois en France, sont assez positifs (notamment de la presse). Mais bien sûr, ce qui nous intéresse, c’est l’adhésion des utilisateurs. Ils sont ceux que l’on veut toucher, car c’est avant tout pour eux que nous avons conçu Rite.
– (Florian) Où en est PETIT POUÇET, lauréat du concours Samsung Launching People? Envisagez vous d’autres applications à ce projet?
Suite au concours, j’ai pu exposer Petit Poucet aux D’days et à Maison & Objet, mais je suis forcé de constater que malgré l’intérêt généré autour de ce projet, je n’ai eu aucune réponse positive pour une potentielle commercialisation. Pour moi, c’est en partie dû aux couts de développement de ce projet.
Samsung m’a permis d’affiner le projet et de réaliser une maquette fonctionnelle de très bonne qualité, mais on est encore loin d’un prototype en vue d’une industrialisation. Bien que ce dernier soit passé au second plan dans mes priorités, je le garde tout de même en tête, d’autant plus que je suis actuellement à Singapour, ce qui me permet d’évoluer dans un environnement ouvert aux investissements et aux technologies.
– Envisagez vous une collaboration sur le long terme une fois vos études terminées ? Quels sont vos futurs projets ?
Si les opportunités se succèdent, il y a évidemment de fortes chances que nous continuons cette collaboration. Jusqu’à maintenant, elle a été très enrichissante pour l’un comme pour l’autre. Mais il est vrai que nous continuons quand même à mener des projets personnels chacun de notre côté. L’un n’empêche pas l’autre !
Actuellement, nous travaillons sur deux projets.
Une collaboration avec la Faïencerie Georges située à Nevers, dont le savoir-faire principal est le décor sur émail cru. Nous sommes partis de cette particularité pour dessiner une série de motifs à combiner rendant chaque pièce unique, tout en créant une cohérence entre les différentes pièces. Nous avons simplement mis en place ce protocole, laissant la liberté à la décoratrice quant aux rythmes et aux espacements entre chaque motif.
Nous travaillons aussi avec Christophe Nivelles, fondateur de la marque Tiban. C’est une marque née aux Antilles, en Guadeloupe, qui cherche à revisiter le mobilier patrimonial antillais. Pour lui, nous dessinons deux « ti-ban », une assise d’appoint traditionnelle aux Antilles et dont l’origine remonte à la période esclavagiste coloniale. C’était un petit banc d’une place qui n’excédait pas les 30 cm de hauteur, assez élémentaire dans son dessin, mais qui permettait de faciliter des taches quotidiennes comme la toilette ou encore pour laver le linge.
Nous travaillons donc sur la « déspécialisation » de cet objet qui en fait sa force, en l’amenant vers une forme de modernité, notamment dans son dessin.
Ce projet nous correspond particulièrement, car il consiste en une forme d’hybridation de nos deux cultures respectives : les produits sont pensés aussi bien pour les Antilles que la France métropolitaine et même l’Europe. Il s’agit donc d’être dans une parfaite balance entre respect des valeurs et codes traditionnels, modernité et contraintes industrielles. Nous devrions avoir les premiers prototypes en Septembre prochain.
Et pour ce qui est d’un futur plus lointain, nous espérons développer deux projets réalisés dans le cadre d’un workshop avec Louis Vuitton & Mathieu Lehanneur. L’un est sur support numérique, ce qui est une première pour nous et l’autre amène un objet ultra commun et essentiel dans la domaine du luxe et du savoir-faire Louis Vuitton. Malheureusement on ne peut pas en dire plus faute de contrat de confidentialité.
Merci à Florian Dach et Dimitri Zephir pour cette interview. Nous espérons recroiser votre chemin !
Plus d’informations sur les designers : Florian Dach, Dimitri Zephir
En effet, @Mary HG, de vraies belles références et découvertes..
Super inspirant ! 🙂
CONCOURS ENTRE LES VAINQUEURS DU CONCOURS CINNA …. Avant de devenir un designer plus ou moins connu comme “Benjamin Graindorge, Pierre Favresse ou encore Vaulot & Dyèvre” qui se serait fait connaître par ce concours selon -florian-dach-dimitri-zephir-designers Il y a un autre concours entre les 5 gagnants du 7 ème concours Cinna… Lequel sera le plus vu en presse, sur internet, en boutique ? lequel sera le plus apprecié par les regardeurs et par les acheteurs professionnels ou non?http://www.yooko.fr/wp-content/uploads/2015/02/cinna-Maison-et-objet.jpg
Bravo Flo!Bravo à vous deux!
VOILA PLUS DE 24 SIECLES QUE LE POLYEDRE EXISTE…. et je ne l’ai defendu qu’une fois pour un designer japonais installé en Finlande Arihiro Miyake…. car il a un sens qui n’est pas que la belle forme geometrique à la Platon qui etais aussi geomètre .C’est pourquoi Caspers Vissers et Marcel Wanders e l’ ont edité chez Moooi. Si une forme a un sens, elle sera éditée.http://www.arrivetz.com/medias/produits/537/miyake4.jpg
PARCOURS DE DESIGNER : JEU DE PISTE POUR PETIT POUCEE OU CONCOURS DE CIRCONSTANCE ? 424 millions de fois le mot design est associé dans une page Google a DESIGN et 160 millions pour Samsung.. Donc un concours de design sert d’abord à Samsung puis ensuite, beaucoup plus modestement à Matali Crasset 36000 occurences associé à une grande marque internationale. Son aventure avec Thomson dans l’ombre tutélaire de Philippe Starck ne laissant aujourd’hui que peu de trace 3000 occurences Quand à florian dach cela est tres modeste 500 citations dans la même page que Samsung.Cela fait pour certains une ligne de plus dans un CV et pour d’autres une validation….http://www.blog-espritdesign.com/wp-content/uploads/2014/01/Samsung-Launching-People-%C3%A9volution-des-projets-agenda-concours-design-blog-espritdesign-1.jpg
LE DESIGN UN TRAVAIL , UNE OEUVRE ? Reference est polysemique Reference au sens de referent,(Ce qui sert de référence, ce à quoi on se réfère). … ou reference au sens de validation de parcours , de CV.(.Il se présente avec les meilleures références…..) Pour l’instant , je ne vois rien de radical ( italien ou pas ) dans la démarche et / ou dans l’oeuvre ( si l’on peut dire ) de Florian Dach & deDimitri Zephir. Tout cela est un travail de jeunes designers dans l’air du temps. Pour être plus clair, il ne s’agit pas d’un travail de designer auteur comme celui de Sottsass , de Crasset et des sus cités avec un vocabulaire, une grammaire , des principes, un storytelling….
je note surtout de belles références et découvertes pour ma part ..
MATALI CRASSET VS FLORIAN DACH, HISTOIRE COMMUNE ?Cela me remet en memoire ce souvenir que Matali Crasser raconte. Nos fameux services d’orientation scolaire l’avait orienté vers le marketing et non vers le design. Le pont vers l’Ensci fut pour elle le packaging de parfum . Pour avoir vecu au Canada , je connaissais le bac marketing mais je ne savais pas qu’il y avait un bac marketing en France tellement ce mot anglais est mal vu par notre “Education nationale” et par son elite professorale de l’ecole normale superieure. Florian-Dach et Matali-Crasset à la remise-de-prix Launching-People-France Samsung