La revue d'architecture et de design
Bullet Time et contreplaqué : immersion dans le design cinématographique de Woodlabo

L’objet intrigue avant même de comprendre sa fonction. Arc tendu vers le sujet photographié, la structure évoque une portion de carlingue spatiale tombée là, suspendue dans le mouvement. On y perçoit des lignes tendues, des modules répétitifs, une pulsation lumineuse animée. Avec ses deux grands yeux et cette grande bouche on décèle un être non terrestre, fait de métal et d’acier qui semble attendre son moment, le bon moment.
Rien de cela, ici, l’ensemble de la structure dissimule de manière astucieuse et esthétique un système poussé de Multicam conçu par Woodlabo & Bon Sens.
Ce projet s’inscrit dans une longue collaboration entre les deux studios et Wildstories, spécialiste de la location de bornes photo haut de gamme. Après dix prototypes de photobooths traditionnels, la demande évolue : capturer l’instant, mais de onze points de vue, pour générer une image animée tridimensionnelle, cette illusion fascinante nommée bullet time, rendue célèbre par la culture cinéma.
Un objet conçu comme un outil, pensé comme une forme
Ce n’est pas qu’un dispositif de capture. Ce n’est pas non plus une simple sculpture technique. Le Multicam est un système complet, pensé pour être transporté par un seul opérateur, facilement réglable, personnalisable et maintenable sans effort. Ce sont les prémices d’un objet bien dessiné. Puis vient la forme et son impact auprès du public et potentiels utilisateurs.
L’approche de Gaël Wuithier et Benoît Beaupuy s’illustre dans la manière d’intégrer les contraintes techniques comme moteurs esthétiques. L’alignement précis des onze objectifs, la convergence optique nécessaire, le rythme induit par les répétitions modulaires, tout cela trace naturellement un arc, une géométrie dynamique, presque aérienne, ou en provenance du dernier prototype automobile à la mode. La référence au vaisseau de Spielberg dans Rencontres du 3e type devient évidente. Ce n’est pas une imitation, c’est une interprétation libre, une manière de donner à voir l’invisible, cette énergie latente de la machine.
Matériaux : entre rigueur et poésie
La matière est ici tout sauf secondaire, misant sur le contreplaqué de bouleau pour les coques supérieures et inférieures fait écho aux autres créations développées pour Wildstories. Il crée une continuité tactile et visuelle entre les différentes bornes photo. Ce bois clair, stable et nerveux, maîtrisé de longue date par Gaël Wuithier formé chez les Compagnons du Devoir devient un vecteur de précision autant que d’émotion.
Autour, une carapace de PMMA diffusant abrite des leds dynamiques, offrant une façade lumineuse, modulable et scénographique. Le Multicam s’active, change de teinte, s’adapte aux contextes. C’est là que le design dépasse l’objet pour entrer dans le champ de l’expérience.
L’intérieur, plus technique, combine aluminium pour la structure, bois pour l’ossature, et une logique modulaire pour le transport : deux parties pour le corps, deux jambes démontables, tout se range dans le piètement. L’ergonomie n’est pas une concession, elle est intégrée au dessin même.
Co-construction, savoir-faire et complémentarité
Ce type de projet est aussi le reflet d’un travail à quatre mains. Si Gaël Wuithier apporte sa maîtrise du bois, son ancrage scandinave et un regard formel nourri par l’artisanat et l’architecture, Benoît Beaupuy propose une vision systémique, nourrie par l’industrie, l’usager et le réel. Ensemble, ils créent des objets où le design n’est pas une surcouche, mais une traduction fidèle des usages, des contextes et des désirs.
Dans ce Multicam, aucune pièce gratuite, aucun volume inutile : tout est placé, agencé, rythmé pour faire corps avec l’image. L’objet devient outil de narration, et c’est peut-être là son plus grand mérite : mettre la technique au service d’un instant suspendu.
En savoir plus sur le projet : Woodlabo




















































