Poursuivons notre nouvelle rubrique dédiée aux RENCONTRES inspirantes, aux designers de l’ombre, aux faiseurs de nos quotidiens, aux créatifs appliqués… Aller aussi là où l’on attend moins l’intervention des designers, pour apporter un peu de lumière à toutes ces missions !
Faisant à l’échange avec Tamim Daoudi le mois dernier, voici l’échange avec Manon Palie, jeune designer de services et de politiques publiques, une application et implication du designer dans un milieu où on ne l’attend pas forcément ?
Peux-tu te présenter en quelques lignes ?
Je suis designer de services et de politiques publiques depuis 6 ans, passionnée par tout ce qui touche à l’humain, l’urbain, l’innovation et les pratiques collaboratives. Concrètement, je tente via mon travail d’apporter du sens et de la simplicité dans nos usages quotidiens.
Es tu toi-même designer ? Quelles sont tes études ?
J’ai eu l’occasion de travailler en tant que designer de services dans des structures variées. J’ai tout d’abord travaillé au sein d’une association / tiers-lieu (le TUBA à Lyon), où j’ai mené des projets d’innovation collaborative aves des acteurs de la fabrique de la ville (institutions publiques, grands groupes, associations, citoyens) sur des enjeux urbains et numériques : sensibiliser aux enjeux de la transition écologique via les arts numériques, étudier les conditions du vivre ensemble, accompagner le changement de comportement sur la question des déchets…
Puis, j’ai rejoins la fonction publique pour répondre à mon envie d’agir au service de l’intérêt général et de mettre à profit le design de services dans des environnements majoritairement éloignés de ces métiers et démarches.
J’ai d’abord rejoins une collectivité (La Métropole de Lyon), au sein d’une équipe projet dédiée aux enjeux de santé et de bien vieillir (Bien Vivre Chez Soi). Je suis actuellement cheffe de projets designer de services, au sein d’un laboratoire d’innovation intégré dans la préfecture de région Occitanie.
« mon travail c’est de comprendre les comportements et habitudes des personnes vis-à-vis d’un service (ou d’un espace, d’un objet…), étudier si quelque chose leur pose problème pour ensuite imaginer la manière la plus simple de l’améliorer »
Design de service, cela veut dire quoi exactement ?
Lorsque je rencontre de nouvelles personnes, je présente mon métier de la façon suivante : « mon travail c’est de comprendre les comportements et habitudes des personnes vis-à-vis d’un service (ou d’un espace, d’un objet…), étudier si quelque chose leur pose problème pour ensuite imaginer la manière la plus simple de l’améliorer« .
Le designer de services est une sorte d’enquêteur qui se base sur la compréhension de l’humain et de ses besoins pour faire évoluer son environnement / l’institution dans laquelle il évolue. Au fond, mon rôle est d’insuffler du « bon sens » et de la cohérence.
Quels seraient tes conseils aux étudiants en design ?
De se faire confiance et de tester : le design est une discipline pouvant être mobilisée dans de nombreux domaines et environnements. Il est possible de mettre à profit son expertise de designer hors de l’école (engagement associatif, workshop…) et de puiser son inspiration dans d’autres disciplines (les sciences humaines et sociales, le numérique, le social, le soin…).
De manière générale, il me semble important d’aller où on ne vous attend pas forcément : de ne pas s’enfermer dans une case et de toujours aborder un regard critique. Les écoles de design sont un très bon terreau pour expérimenter et se dire « quel designer je veux être ? Qu’est-ce qui fait sens pour moi ?« . Mon dernier conseil serait d’avoir du culot (magné avec subtilité) : contacter des designers en poste, aller à des événements pros, oser « sortir du cadre ».
« quel designer je veux être ? Qu’est-ce qui fait sens pour moi ? »
Quels sont tes / ton projet(s) du moment ?
Je travaille actuellement au sein d’un laboratoire d’innovation, visant à accompagner les services déconcentrés de l’Etat dans leurs démarches d’innovation et ou transformation. Je peux notamment être mobilisée sur des sujet d’amélioration de l’accès aux droits ou encore de transformation des pratiques en interne.
À titre d’exemple, je travaille actuellement sur des sujets d’amélioration de l’accueil pour les demandeurs d’asile en préfecture, de simplification et la dématérialisation de démarches administratives (inscriptions à des examens…), d’appui à la structuration de réseaux oeuvrant pour les droits des femmes… Globalement, j’interviens tant sur l’exploration (des besoins, des comportements existants) que sur le prototypage et l’expérimentation de solutions.
Quel est ton rôle au sein des institutions pour lesquelles tu travailles ?
Mon rôle est d’accompagner au mieux les services et agents publics dans leurs projet visant à améliorer et simplifier l’action publique. J’interviens aussi bien sur de l’ingénierie de projet (quelle méthodologie mettre en place…) que sur de la conception design (faire de l’immersion sur le terrain, imaginer des ateliers de co-construction, concevoir des outils pédagogiques…). J’aime bien décrire mon rôle à la fois comme celui d’un « médiateur » que d’un poil à gratter dans l’administration : interroger, décrypter, faire échanger.
Enfin, l’objectif est de faire infuser la culture de l’innovation et du design en interne : que nos administrations adoptent « le réflexe Design » dans leurs projets. D’une certaine manière, les designers de services publics plantent des graines pour le futur.
En quoi elles peuvent aider les entreprises et les designers ?
Les institutions ont à mon sens un rôle « d’exemplarité ». Elles sont par essence au croisement de différents acteurs et peuvent les inspirer à « faire les choses autrement ». En ce sens, les postes de designers au sein des administrations permettent de légitimer notre rôle et plus-value dans des projets d’envergure et pousser d’autres acteurs à nous solliciter. L’institution est également un formidable terrain pour intervenir sur des enjeux porteurs de sens.
En quoi le design à un rôle majeur dans la société actuelle / demain ?
Le design est partout dans notre quotidien, que ce soit dans les objets, les espaces mais également les expériences que nous vivons, sans que nous ne le voyons réellement. A ce sens, il est important de questionner notre façon de faire du design en y intégrant les notions de frugalité et d’utilité (à quelle fin ? pour quel impact ? est-ce inclusif ?).
Le design de services re-questionne nos usages. Dans une certaine mesure il permet de souligner ce qui est utile, ou ne l’est pas. Intégré à des places stratégiques, il peut avoir un vrai rôle de « conseiller« , permettant d’orienter des choix stratégiques (de politiques publiques, de transformation des pratiques…).
En quoi, d’après toi les designers, peuvent-ils faire bouger les lignes ?
En étant justement ces fameux poils à gratter, quelques soient nos rôles et postes. En questionnant, re-questionnant, donnant de la voix à celles et ceux que l’on entend pas spécialement habituellement. Il y a autant de manières de faire du design qu’il n’y a de designers. Mais, notre point commun à toutes est tous est d’être en mesure de transformer nos idées en actions : se fédérer et mener des projets communs autour d’enjeux qui nous portent peut-être un bon point de départ.
Quels sont les risques pour les designers de demain ?
Je perçois actuellement plusieurs risques quant à l’évolution de notre profession. D’une part, les postes de designers de services dans les administrations publiques sont rares, le design est encore trop souvent perçu comme « le petit truc en plus« . Cela souligne la nécessité de faire de la pédagogie sur nos métiers.
D’autre part, il existe de plus en plus de formations en design, qui n’ont de design que le nom, pouvant tendre vers un « design washing » progressif et réduire notre expertise à une simple méthode « solution magique« . Enfin, il est important de ne pas être que dans une approche unique de valorisation de l’utilité. On tend parfois à oublier le pouvoir de l’imaginaire, qu’il serait pourtant fort appréciable de mobiliser dans le contexte actuel.
Peux tu me citer un jeune talent que tu souhaites mettre en lumière ?
Le territoire regorge de personnes inspirantes, qu’il s’agisse d’agences de design ou d’indépendants. Je pense particulièrement à deux designers talentueuses et engagées : Salomé Milet, designer graphique, créatrice et présentatrice d’une émission diffusée sur Twitch de vulgarisation sur le design, la création et les métiers d’arts : Heliocast. C’est un média formidable et créatif !
Je souhaite également citer Erika Cupit, designer de services et fondatrice d’une association Novum Novem, visant à faire changer le regard sur le vieillissement via le design. C’est un superbe exemple d’expertise en design mise au service d’enjeux sociaux et de santé. Ce sont deux femmes inspirées et inspirantes et ça fait un bien fou de voir des personnes se lancer dans des projets ambitieux et généreux.
Peux tu citer une personne inspirante ?
Le design est à mon sens une pratique éminemment collaborative, il m’est difficile de ne citer qu’un designer, je préférerai mettre l’attention sur les réseaux de designers intégrés dans la fonction publique : Dessein Public, Designers Publics et le réseau du Design Hospitalier.
Ce sont des réseaux qui fédèrent, accompagnent et mettent en avant nos métiers qui sont encore peu connus et/ou reconnus dans nos institutions. Ils sont indispensables et reposent uniquement sur l’auto-gestion des designers qui le composent. C’est un vivier de personnes inspirantes.
En parallèle, le travail mené par la Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP), est également une source d’inspiration pour tout designer souhaitant agir au service de l’intérêt général. Ils sont pionniers et ont ouvert la voie à beaucoup de designers souhaitant travailler dans les instituions publiques et ont permis la création de postes tels que le mien dans les laboratoires d’innovation territoriale. De nombreuses ressources créées par les équipes sont d’ailleurs disponibles sur le site du campus de la Transformation Publique : une mine d’or d’outils et de méthodes pour tous ceux s’intéressent à l’innovation publique.
Merci Manon, pour ces mots, ces conseils, le partage de sa vision et de ses missions au quotidien, en espérant que cela éveillera des vocations, à minima suscitera l’intérêt et permettra de mettre en lumière une forme du design peu valorisée…
Et si vous avez des profils, des designers, des personnes inspirantes à nous souffler à l’oreille, n’hésitez pas nous aurons plaisir à pouvoir les intégrer à nos prochaines rencontres.
Gardien de la maison BED, fondateur, dévoué je passe mon temps à veiller la nouveauté qui vous fera briller les yeux.
En parallèle : Head of digital & Associé 14 septembre - Groupe Extreme