Rencontre : Gauthier Flagel (BIC), « Que fait un designer dans une entreprise face au poids de l’héritage? »

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08 septembre 2025 /
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Poursuivons notre série de rencontres, interviews, inspirantes de designers, de profils intégrés, de talents parfois de l’ombre, parfois là où on ne pense pas voir du design, ou inversement parfois là où on sait qu’il y en a, mais on ne sait pas trop sous quel forme. Après Alexia Audrain, Céline David, Manon Palie et Tamim Daoudi (Un profil par mois à retrouver par ici)..  

Si on parle de BIC, à nos yeux, LE design parfait, design ultime, intemporel, une pièce emblématique, optimisée qu’on ne peut « plus » améliorer… mais il y a encore tant à faire.

Partons à la rencontre de Gauthier Flagel, Design Manager chez BIC, il nous dévoile les coulisses d’un design industriel de la marque, il jongle entre exigences techniques, usages universels et responsabilité environnementale et cela pour 160 pays…

Rencontre : Gauthier Flagel (BIC), "Que fait un designer dans une entreprise face au poids de l’héritage?"

Peux-tu te présenter en quelques lignes ?

Je m’appelle Gauthier Flagel, et je travaille en tant que Design Manager dans la catégorie stationery (outils d’écriture) de BIC.

Quel est ton parcours, ta formation ?

Oui, j’ai fait des études de design industriel au sein de l’école parisienne Créapole. Deux influences majeures m’ont naturellement conduit vers le design. D’un côté, un environnement familial où l’art et le design occupaient une place importante, ce qui a éveillé très tôt ma sensibilité aux formes et aux usages. De l’autre, mon grand-père, ingénieur, avec qui je passais des heures à bricoler dans son garage. C’est à ses côtés que j’ai découvert le plaisir de concevoir, de comprendre les objets et leur logique industrielle.

Quelle est ton actualité depuis ?

J’ai eu la chance d’exercer ce métier sous de nombreuses formes : en indépendant, en co-développant une entreprise, et en tant que salarié. J’ai également travaillé dans des structures très variées, aussi bien chez L’Oréal, à l’agence PAD, chez BIC que… depuis mon canapé.

Je considère cette diversité comme une vraie richesse. Il existe de nombreuses façons de pratiquer le design, et il peut être difficile, en sortie d’études, de savoir quelle voie emprunter. De mon côté, je n’ai pas planifié ce parcours, mais les opportunités m’ont permis d’explorer différentes configurations de travail. Chacune d’elles m’a apporté quelque chose de précieux, une nouvelle manière d’aborder le métier, un nouvel angle de réflexion ou une meilleure compréhension du rôle du designer.

Rencontre : Gauthier Flagel (BIC), "Que fait un designer dans une entreprise qui fabrique le même produit depuis 70 ans ?" Rencontre : Gauthier Flagel (BIC), "Que fait un designer dans une entreprise qui fabrique le même produit depuis 70 ans ?"

Designer chez BIC, cela veut dire quoi exactement ?

On me pose souvent cette question, qui n’est pas si anodine :

« Que fait un designer dans une entreprise qui fabrique le même produit depuis 70 ans ? »

En réalité, BIC est bien plus qu’un fabricant de stylos. C’est un acteur mondial de l’écriture, de la créativité et de l’apprentissage, avec une gamme très large : stylos, feutres, marqueurs, crayons, produits de coloriage, pour des publics très variés dans plus de 160 pays.

Rencontre : Gauthier Flagel (BIC), "Que fait un designer dans une entreprise qui fabrique le même produit depuis 70 ans ?"

Quelques une des futurs billes de crayons de l’usine Bic de Marne la Vallée sont contrôlé au microscope après leur passage en presse.

Rencontre : Gauthier Flagel (BIC), "Que fait un designer dans une entreprise qui fabrique le même produit depuis 70 ans ?"

Les pratiques d’écriture varient énormément selon les cultures, les langues, les âges ou les contextes éducatifs. Un écolier en Inde n’a pas les mêmes besoins qu’un étudiant en Europe ou qu’un enfant au Brésil. Pour un designer, cela représente autant de défis : concevoir des produits ergonomiques, fiables, accessibles et adaptés à chaque usage.

Chez BIC, le design est au cœur de l’innovation. Il s’agit de créer des solutions simples, pertinentes et durables. On pense bien sûr au BIC Cristal, objet culte, mais aussi à des gammes plus techniques ou à des produits éco-conçus. Le rôle du designer est de transformer des besoins locaux en produits universels, tout en intégrant les enjeux actuels : durabilité, recyclabilité, réutilisabilité.

Travailler chez BIC, c’est contribuer à une vision du design à la fois responsable, inclusive et ancrée dans le quotidien de millions de personnes à travers le monde.

Rencontre : Gauthier Flagel (BIC), "Que fait un designer dans une entreprise qui fabrique le même produit depuis 70 ans ?"

Quels seraient tes conseils aux étudiants en design / jeunes générations ?

Si je ne dois en retenir que trois, ce seraient les suivants :

1 – La créativité ne naît pas du vide.

Elle naît de connexions. Le cerveau ne crée pas ex nihilo : il assemble, détourne, combine des idées, des formes, des références parfois lointaines… et parfois, de ces croisements inattendus, surgit quelque chose de vraiment neuf. C’est exactement ainsi que fonctionne le design.
Les designers les plus créatifs que je connaisse sont d’abord des curieux insatiables. Ils s’ouvrent à tout : aux cultures, aux disciplines, aux détails du quotidien comme aux grandes idées.
Leur richesse d’inspiration vient de là — d’une sensibilité aiguisée au monde, et d’une capacité à tisser des liens là où d’autres ne voient rien.

2 – Comprendre la technique, c’est comprendre le terrain de jeu du design.
Un bon designer ne se contente pas d’avoir des idées brillantes : il les fait exister.
Car un bon produit ne vaut que s’il dépasse le stade du concept. Et pour cela, il faut penser en chaîne — comprendre qu’on n’est qu’un maillon parmi d’autres, entre l’idée et la réalisation.

Plus tôt tu intègres les contraintes techniques dans ton processus, plus tes idées gagneront en justesse, en faisabilité… et en impact.
La technique ne limite pas la créativité. Elle l’oriente. Elle la rend réelle.

Rencontre : Gauthier Flagel (BIC), "Que fait un designer dans une entreprise face au poids de l’héritage?"

3 – Apprendre à défendre ses créations.

Dans le design, il n’est pas rare d’avoir une intuition forte — mais de voir qu’elle ne prend pas, qu’elle ne convainc pas tout de suite l’équipe. C’est normal. Notre travail touche à l’émotion, au goût, à des choses profondément subjectives.

Pour passer ce cap, il n’y a pas de miracle : il faut apprendre à argumenter. À construire un discours clair, rationnel, solide… et parfois, à savoir enchanter un peu le réel.
Trouver les bons mots, les bonnes images, la bonne énergie pour faire passer une idée.

Mais il faut aussi savoir quand s’arrêter.
Apprendre à reconnaître le moment où l’ego parle plus fort que le projet. Et là, avoir l’humilité de lâcher prise.

C’est dans cet équilibre — entre conviction et écoute — que se joue, souvent, la maturité d’un designer.

Rencontre : Gauthier Flagel (BIC), "Que fait un designer dans une entreprise qui fabrique le même produit depuis 70 ans ?"

Quels sont tes / ton projet(s) du moment ?

Nous en avons beaucoup, d’anciens produits que nous voulons remettre au goût du jour, de nouveaux usages des outils d’écriture qui nous poussent à reconsidérer notre approche design des produits. Par ailleurs, nous évoluons sur un marché très concurrentiel, avec des acteurs qui font preuve de beaucoup de créativité et il faut constamment se challenger pour proposer les meilleurs produits à nos consommateurs.

 

Quel est ton rôle dans les projets pour lesquels tu travailles ?

Mon rôle chez BIC s’articule autour de deux axes clés : l’innovation et la désirabilité.

D’un côté, imaginer les produits de demain en captant et en anticipant les grandes tendances du marché de la papeterie. De l’autre, faire du design un véritable levier stratégique, capable de renforcer l’attractivité de nos gammes, de consolider nos positions existantes et d’ouvrir la voie à de nouveaux marchés.

Le design, ici, n’est pas seulement une question de forme. C’est un moteur d’innovation, un outil d’intuition marché, et un catalyseur de désir.

 

En quoi le design a-t-il un rôle majeur dans la société actuelle / de demain ?

D’un côté, on ne peut pas nier que le design est une discipline intrinsèquement liée à un monde de consommation. Il faut en être conscient et être honnête par rapport à cet état de fait.

D’un autre côté, il est vrai qu’au quotidien, on peut peser sur le monde des objets afin qu’il aille dans le bon sens. La formule de Dieter Rams sur un « design honnête » me semble essentielle. On peut au quotidien travailler à ce que nos objets soient le mieux conçus, plus durables, plus réparables ou moins consommateurs en matière vierge.
« Est-ce que cette feature si élégante mais si consommatrice en plastique sur mon produit est tellement nécessaire ? » C’est un combat intérieur que chacun doit mener.

 

En quoi, d’après toi, les designers peuvent-ils faire bouger les lignes ?

Le designer peut être proactif dans une démarche de responsabilité, c’est une évidence, mais je pense que c’est surtout un travail d’équipe. Chaque acteur de la mise au monde d’un objet doit se sentir concerné.

À ce sujet, je suis assez optimiste, je pense que le niveau de conscientisation aux problématiques environnementales augmente de jour en jour.

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Ligne de productions de crayons de l’usine Bic de Marnes la Vallée.

Quels sont les risques pour les designers de demain ? (écologie, évolution techno, etc.)

Le sujet de l’intelligence artificielle est, bien sûr, omniprésent dans nos métiers aujourd’hui. Chacun y va de son scénario, tantôt apocalyptique, tantôt utopique. Il existe un risque bien réel : celui de voir l’outil devenir si performant qu’un client d’agence préférera souscrire à un mois d’abonnement à une IA plutôt que de faire appel à une équipe créative. Et cela arrivera, très probablement, dans les mois à venir.

Mais ce que l’on vient chercher chez un designer ne se résume pas à une production rapide ou efficace. C’est aussi — et surtout — une singularité, un regard sensible, une approche formelle unique du produit. C’est pourquoi il est de notre responsabilité de cultiver cette différence, cette « patte » personnelle qui nous permet de proposer des réponses originales, parfois inattendues. Nous sommes la somme de nos histoires, et c’est ce vécu qui enrichit notre travail.

Enfin, le rôle du designer en entreprise ne se limite pas à l’application d’un ensemble de compétences. Il s’agit avant tout de faire des choix, de les assumer, et d’en porter la responsabilité. C’est précisément cette capacité à décider, à trancher, à défendre une vision, qui me rend optimiste quant à l’avenir de la création.

Peux-tu me citer un jeune talent que tu souhaites mettre en lumière ?

Nous sommes, je pense, de la même génération, mais je suis un grand fan du travail du studio Hall Haus. C’est un collectif de designers qui a une approche très référencée, humaine et joyeuse du métier. Chacune de leurs réalisations a beaucoup de sens, et le résultat est visuellement super fort.

Et par-dessus tout, ils semblent être capables de fédérer une communauté forte autour d’eux, ce qui est très fort.

Peux-tu citer une personne inspirante / designer / architecte et expliquer pourquoi ?

Je vais sans doute manquer d’originalité en répondant à cette question, mais Dieter Rams reste, à mes yeux, l’un des grands maîtres du design industriel. Son approche est à la fois complète, puissante et profondément visionnaire. Il a su incarner son époque tout en créant des objets d’une pertinence intemporelle. Son influence est majeure : d’Apple à Teenage Engineering, son empreinte est partout, preuve de la force et de la clarté de sa pensée.

J’aimerais également citer Marcel Bich. Bien qu’il ne soit pas designer au sens strict, il a su imposer une vision produit d’une rare puissance. Quelques décennies plus tard, ses créations, des objets du quotidien devenus emblématiques, sont encore fabriquées et utilisées à travers le monde. Peu de personnes peuvent en dire autant. Sa démarche illustre parfaitement comment une idée juste, bien exécutée, peut traverser le temps et les usages.

Rencontre : Gauthier Flagel (BIC), "Que fait un designer dans une entreprise qui fabrique le même produit depuis 70 ans ?"

Merci à Gauthier pour son temps et sa bienveillance, à qui le tour ?

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À propos de l'auteur
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Vincent Roméo
Fondateur, rédacteur en chef chez 
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Gardien de la maison BED, fondateur, dévoué je passe mon temps à veiller la nouveauté qui vous fera briller les yeux. En parallèle : Head of digital & Associé 14 septembre - Groupe Extreme

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