La revue d'architecture et de design
Aurélien Veyrat : fragments, briques et réinvention du matériau

Parmi les créateurs contemporains qui explorent les ressources oubliées de l’architecture et du design, Aurelien Veyrat se démarque par une obnubilation pour la brique de construction. Designer formé au travail du bois puis passé par l’expérimentation plastique, il a fait de la brique son matériau de prédilection.
Mais attention, pas la brique neuve, calibrée, belle, standardisée, mais la brique de rebut, issue des fins de chantiers, des stocks invendus ou abandonnés, des jardins envahis par la végétation. Une matière brute, marquée par le temps, qui devient sous ses mains une ressource pour de nouvelles histoires !
La brique comme point de départ
Son manifeste est clair : « Each brick is a chance, has its own personality, its texture, its tint. » Chaque brique porte en elle une histoire celle de l’argile utilisée, du lieu de fabrication, de l’usage initial et de son projet… qu’Aurélien Veyrat choisit de révéler et de prolonger par de nouvelles pièces et formes. En les collectant, en les lavant (à l’eau de pluie), en les découpant et en les assemblant, il leur offre une seconde vie.
Ces briques deviennent des fragments, colonnes, blocs ou tours, entre sculpture et micro-architecture. Parfois objets nomades, parfois pièces lumineuses, elles dialoguent entre elles par leurs couleurs (rouge, rose, orange, gris) et leurs textures (lisses, rugueuses, tachetées). Le geste du créateur consiste moins à imposer une forme qu’à laisser la matière révéler son potentiel plastique.
L’unicité, la différence, les traces de l’histoire prennent leurs sens, l’accumulation, où tout n’est pas parfaitement aligné, mais où tout semble tout de même bien à sa place…
Recycler, transformer, réinventer
La démarche va plus loin que la simple réutilisation, le designer accepte les aléas, les cassures, les résidus produits au fil du processus. Ces déchets deviennent le point de départ d’un autre cycle créatif : le projet [aglɔmeʀa].
En mélangeant fragments de briques, béton et plâtre, Aurélien Veyrat fabrique de nouveaux blocs, qu’il découpe pour révéler des graphismes organiques. Ces surfaces, mi-techniques, mi-naturelles, rappellent des strates géologiques, telles des traces du temps.
Le designer les polit pour faire émerger douceur et contraste, avant de les utiliser pour créer des sculptures, des panneaux décoratifs ou même recouvrir du mobilier chiné. Une façon de prolonger la logique du réemploi jusque dans le détail.
Dialogue entre matériaux
À côté de la brique, Aurélien Veyrat explore aussi le verre. Collecté dans les filières de seconde main, vitres, bouteilles, déchets d’ateliers, il fait fondre dans son four, parfois directement sur les briques. La fusion des deux matériaux donne naissance à des pièces où la transparence, la couleur et la lumière apportent une dimension nouvelle.
Ces « objets résiduels », à la frontière entre sculpture et design fonctionnel, deviennent des centres de table, des plateaux, des micro-architectures à contempler ou à utiliser. Le studio de Veyrat prend ainsi des allures de laboratoire d’expérimentation, où chaque saison du cycle annuel (printemps pour la collecte, été pour le séchage, automne-hiver pour l’assemblage) rythme la production.
Héritage et continuité
L’approche d’Aurélien Veyrat n’est pas sans rappeler son passé de menuisier. Comme une marqueterie contemporaine, ses assemblages de briques et de fragments évoquent le geste de l’artisan qui joue avec les essences et les veinages. Avec [aglɔmeʀa] furniture, il applique ce principe à des meubles anciens qu’il recouvre d’une « seconde peau » minérale, renouant ainsi avec l’idée d’un design circulaire et patrimonial.
Un design entre matière et narration
À travers ses expérimentations, Aurélien Veyrat propose une réflexion profonde sur le rôle du designer : transformer, mais aussi écouter la matière. La brique, simple élément de construction standardisé, devient un support d’imaginaire et d’émotion. Elle raconte son histoire industrielle et régionale, tout en se projetant dans des usages artistiques ou domestiques inattendus.
Dans une époque marquée par la nécessité de penser la durabilité et la réutilisation, son travail ouvre des pistes inspirantes pour les architectes, designers et étudiants. Non pas en proposant un modèle figé, mais en montrant qu’à partir d’un rebut, d’un fragment oublié, on peut générer un langage plastique riche et toujours renouvelé.
En savoir plus sur le designer : Aurelien Veyrat
© studio.b.helle