Ara Thorose : L’Échelle réinventée, entre geste et matière

Dans l’univers du design contemporain, où chaque objet semble avoir épuisé ses possibilités formelles, Ara Thorose ose l’impensable : réinventer l’échelle. Non pas la transformer, mais la questionner dans son essence même. Que reste-t-il d’une échelle quand on lui retire sa fonction première ? Rien me direz-vous et je pense que vous avez raison ?

Mais si l’on souhaite aller plus loin, comment capturer un semblant de fonction et de l’attribuer à un objet d’art, entre sculpture et forme abstraite…

La Naissance d’un Langage : Du Pipe Cleaner au Métal

L’atelier de Thorose révèle un processus aussi surprenant que décalé. Tout commence par un geste d’une grande simplicité : le façonnage d’un pipe cleaner entre ses doigts, tout simplement.. En répétant ce geste, en faisant évoluer les matériaux et en changeant d’échelle, les formes prennent vie.

Ces esquisses tridimensionnelles, fragiles et éphémères, portent en elles une charge émotionnelle que les dessins techniques ne sauraient contenir. Oui la 3D, la maquette, forcément offre déjà une vision plus directe à l’usage… Quand vient le temps de la fabrication en acier et caoutchouc, cette mémoire gestuelle persiste, conférant aux pièces finales une humanité troublante.

L’Héritage de Füssli : Quand l’Émotion Sculpte l’Objet

L’exposition There Will Be Clouds à Rome n’est pas un hasard. En convoquant l’esprit de Johann Heinrich Füssli, ce maître du trouble romantique, Thorose inscrit son travail dans une certaine filiation. Les corps tourmentés du peintre suisse, suspendus entre extase et mélancolie, trouvent leur écho dans les courbes métalliques des échelles réinventées.

Chaque pièce devient alors un paysage intérieur. La Stepladder s’élève comme un soupir d’acier, la Standing Ladder se dresse avec la noblesse d’une colonne vertébrale, tandis que la Chaise inclinée épouse les contours d’un corps imaginaire. Ces objets ne se contentent pas d’être fonctionnels ; ils vibrent d’une sensibilité qui transforme l’usage en expérience poétique.

L’Art du Détournement : Quand l’Échelle Devient Siège

Thorose opère une révolution silencieuse en intégrant un « milieu de marche à hauteur d’assise ». Cette intervention, d’une élégance conceptuelle remarquable, métamorphose l’échelle en territoire d’intimité. S’asseoir sur les marches d’un escalier relève de l’instinct primaire, de cette recherche spontanée de confort et d’appropriation de l’espace.

Cette transformation révèle une compréhension profonde de l’ergonomie intuitive, une envie, un besoin, une forme et l’on constate le résultat, tout simplement. C’est bien l’utilisateur qui façonne l’objet et non l’inverse, il n’a pas besoin d’apprendre à utiliser ces objets ; il les comprend par le corps, par cette intelligence tactile qui précède la réflexion. Le design devient alors médium d’une communication silencieuse entre l’objet et celui qui l’habite.

Matérialité et Contraste : Le Dialogue de l’Acier et du Caoutchouc

Le choix des matériaux chez Thorose n’est jamais innocent. L’acier apporte la mémoire industrielle, cette robustesse qui évoque les structures urbaines et les architectures fonctionnelles. Le caoutchouc, lui, introduit une douceur organique, un réconfort tactile qui humanise le métal. Cette alliance inattendue crée une tension fertile, un dialogue entre durabilité et sensualité.

Cette dualité matérielle reflète la complexité de notre rapport aux objets contemporains. Nous voulons qu’ils soient à la fois performants et réconfortants, rationnels et poétiques. Thorose résout cette équation par la synthèse plutôt que par le compromis, créant des pièces qui assument pleinement leur hybridité.

L’Expérience Sensorielle : Au-delà de la Contemplation

Thorose ne conçoit pas ses œuvres pour être simplement regardées, mais pour être éprouvées. L’invitation à s’asseoir, à se percher, à interagir physiquement avec ces sculptures fonctionnelles transforme le spectateur en acteur. Cette dimension participative enrichit l’expérience esthétique d’une dimension corporelle essentielle.

L’objet devient alors prétexte à une rencontre, un terrain de jeu pour l’imagination et les sens. Cette approche sensorielle du design s’inscrit dans une tradition qui remonte aux avant-gardes du XXe siècle, mais trouve ici une expression contemporaine d’une rare sophistication.

Héritage et Prospective : L’Écho d’une Démarche

La série Ladders s’inscrit dans une lignée d’artistes-designers qui ont fait de l’objet quotidien un territoire d’expérimentation. De Marcel Duchamp aux frères Bouroullec, en passant par Donald Judd, cette tradition interroge les frontières entre art et design, entre utilité et contemplation.

Thorose enrichit cette généalogie en y apportant une sensibilité contemporaine, marquée par la recherche d’authenticité et d’émotion. Son travail résonne particulièrement à une époque où l’hyper-fonctionnalité des objets nous fait parfois oublier leur potentiel poétique.

L’Échelle Comme Métaphore

Au-delà de l’objet lui-même, l’échelle devient chez Thorose une métaphore puissante de la condition créative. Monter, descendre, s’élever, chuter : ces mouvements rythment autant l’existence que la création. En sculptant ces mouvements dans l’acier et le caoutchouc, l’artiste fixe l’impermanence du geste créatif.

La série Ladders nous rappelle que le design le plus audacieux naît souvent de la question la plus simple : « Qu’est-ce que cet objet, vraiment ? » Cette interrogation, portée par une sensibilité poétique et une maîtrise technique exemplaires, fait d’Ara Thorose une voix singulière dans le paysage du design contemporain.

On pourrait se laisser embarquer par les formes, et penser au travail de Big Game pour Moustache et la collection Bold par exemple, où la forme vient proposer le confort et souligner la posture.

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By Blog Esprit Design