La revue d'architecture et de design
Myra Deson : Réemployer la matière pour révéler la mémoire des lieux

Et si les gravats avaient encore quelque chose à dire ? Si chaque fragment de brique, de tuile ou de plaque de plâtre portait en lui les traces invisibles de vies passées, d’espaces habités, de souvenirs d’architecture ? C’est ce que la jeune architecte française Myra Deson explore avec son projet, une recherche expérimentale autour du réemploi de matériaux issus de la déconstruction.
Au croisement de l’architecture, du design et de la recherche en matériaux, ce projet interroge les processus de transformation des déchets du bâtiment. Trop souvent, ceux-ci sont broyés, rendus muets dans leur intégration au béton ou aux remblais. Une circularité en apparence vertueuse, mais qui efface toute trace du passé !
Myra Deson propose une alternative, plus sensible : redonner une seconde, une troisième vie à la matière en lui redonnant une dimension narrative, en la laissant exprimer les strates de son histoire.
Une matière hybride, artisanale et écologique
Ce travail repose sur plus de 80 essais de formulation, guidés par une volonté : concevoir un « béton de réemploi » qui ne se contente pas d’être structurel, mais qui soit aussi esthétique, porteur de sens et de mémoire. Un matériau composite dans lequel s’entrelacent béton concassé, plâtre, carrelage, brique et tuile, autant d’éléments collectés, sélectionnés, repensés.
Au fil de ses expérimentations, l’approche artisanale se mêle à une exigence technique. Tressage, compression, mélange de fragments : les gestes de la main prolongent ceux de la démolition, comme pour réconcilier destruction et création.
Mais l’innovation ne s’arrête pas à la matière visible. Le cœur du projet réside aussi dans les liants utilisés : exit le ciment traditionnel, place à des alternatives naturelles et biodégradables, issues parfois de déchets alimentaires. Myra Deson teste ainsi l’amidon de riz, la pâte de carton, la gomme de xanthane, jusqu’à remplacer la fécule de maïs par une poudre obtenue à partir de déchets de pommes de terre locales. Une démarche qui interroge autant la performance que l’impact environnemental de nos matériaux de construction.
Une esthétique fragmentée, une mémoire révélée
Ce béton de réemploi ne cherche pas à imiter. Textures rugueuses, éclats rosés ou ocres, reliefs bruts : chaque composition exprime un passé transformé, une matière recomposée mais jamais anonymisée. On y devine les vestiges d’une cloison, la teinte d’un carrelage ancien, la poussière d’un mur effondré.
La matière devient ici un vecteur d’histoires silencieuses. À l’instar du projet Marbre d’Ici de Stefan Shankland, auquel elle fait écho, la création de Myra Deson dépasse la logique fonctionnelle : elle s’inscrit dans un récit, celui des lieux, des usages, des mutations urbaines.

Une démarche engagée
Ce projet ouvre des perspectives pour le design et l’architecture contemporains. Il questionne notre rapport aux matériaux, à leur cycle de vie, à leur potentielle revalorisation. Il invite à penser localement, expérimenter artisanalement et raconter autrement. Plutôt que d’effacer les traces du passé, il s’agit ici de les intégrer, de les sublimer.
À l’heure où les pratiques circulaires s’imposent comme un enjeu central, cette recherche vient nourrir une réflexion essentielle : comment créer des matériaux à faible impact, techniquement viables, esthétiquement puissants et culturellement chargés ?

Myra Deson ne propose pas une solution toute faite, mais une posture, un terrain d’exploration où la matière devient archive sensible, matériau de projet autant que matière à penser.
En savoir plus sur Myra Deson

















































