La revue d'architecture et de design
Terre de Verre : Réinventer la matière à partir des déchets de l’industrie

Entre expérimentation, prospective, artisanat et innovation, partons à la découverte du projet Terre de Verre qui propose une exploration de ce que l’on pourrait encore considérer comme des résidus.
Le designer Wilfried Becret s’attaque à une problématique bien réelle : la revalorisation des fines de verre, ces particules inférieures à 3 mm issues du processus de recyclage du verre, trop petites pour être triées, trop impures pour être réutilisées… et qui finissent trop souvent enfouies.
On a déjà vu passer des projets de revalorisation de déchets, autour du verre, mais ici c’est encore un peu différent…
Un matériau oublié, redécouvert
Chaque année, jusqu’à 100 000 tonnes de fines de verre seraient produites en France selon l’ADEME. Invisibles dans les flux industriels classiques, elles échappent aux filières de revalorisation malgré leur potentiel. Wilfried imagine alors un changement de regard, en les considérant non plus comme déchets, mais comme ressource plein de promesses.
Le projet repose sur une collaboration avec des scientifiques de l’Institut de Physique du Globe de Paris, des artisans, ingénieurs et industriels. Ensemble, ils expérimentent une matière nouvelle, née de ces rebuts.
Une matière vivante, entre verre et céramique
Les recherches menées ont permis de révéler un spectre large de textures, de couleurs et de comportements mécaniques, selon la granulométrie des particules et la température de cuisson.
À basse température (environ 800°C), les fines de verre subissent une céramisation, à plus haute température, c’est un processus de vitrification qui domine. Le résultat : un matériau hybride, entre vitrocéramique et matière minérale, pouvant être travaillé en creux, en relief, ou en plaque.
Cette variabilité ouvre la porte à des usages multiples, du design d’objet à l’architecture, en passant par le mobilier. Le tout, avec des moules en briques réfractaires réutilisables et une consommation énergétique maîtrisée, bien inférieure à celle du recyclage traditionnel du verre.
Vers une nouvelle filière de revalorisation
Le projet s’inscrit dans une logique de cradle-to-cradle, proposant non seulement des objets issus du recyclage, mais également recyclables eux-mêmes. En fin de vie, les pièces conçues peuvent soit être intégrées dans de nouveaux cycles de production via les mêmes techniques, soit rejoindre la filière classique du verre.
Les premiers démonstrateurs réalisés, allant de miroirs à appliques murales en passant par des panneaux décoratifs, témoignent de la richesse esthétique et symbolique de cette matière recomposée. Une texture granuleuse, brute mais raffinée, une teinte naturellement irrégulière, un effet de surface jouant avec la lumière… chaque pièce est unique et porte en elle l’histoire d’un résidu devenu précieux.
Une démarche ancrée dans le réel, tournée vers l’avenir
Loin de rester dans le champ expérimental, Terre de Verre esquisse déjà les contours d’une filière industrielle émergente, impliquant acteurs du recyclage, designers, architectes et industriels. Les perspectives d’application sont vastes : parements muraux, briques modulaires, dalles décoratives, mobilier urbain, etc.
Cette matière encore jeune interroge notre manière de concevoir les matériaux, de produire, de transformer — mais surtout de regarder ce que l’on rejette.
Un projet à suivre, une matière à explorer
Porté par la conviction que la création peut être une force de transformation des modèles, Terre de Verre interpelle autant qu’il inspire. Il propose un terrain fertile pour celles et ceux — designers, architectes, étudiants ou professionnels — qui souhaitent explorer de nouvelles matérialités, allier esthétique et durabilité, et inscrire leur démarche dans une logique de cycle complet.
Plus qu’une matière, c’est une belle promesse vers une nouvelle matière ?
En savoir plus sur le designer : Wilfried Becret