La revue d'architecture et de design
À Ostwald, Édouard François réinvente le colombage alsacien

À Ostwald, dans la métropole strasbourgeoise, Édouard François signe pour Vinci Immobilier un ensemble de logements où le colombage alsacien retrouve une expression contemporaine. Pensé comme un manifeste contre la standardisation des villes, le projet associe architecture et poésie, à travers l’intervention de l’artiste François Mangeol sur la façade du bâtiment.
Lors d’une conférence réunissant quarante maires de grandes métropoles, Édouard François projette des photos de ZAC, ces morceaux de ville dessinés d’un seul élan. Aucun n’y reconnaît la sienne. “Ils se sont rendu compte qu’ils faisaient tous la même chose”, raconte l’architecte.
Ce constat d’uniformité résume le combat qu’il mène depuis longtemps : rendre à chaque territoire sa singularité et lutter contre la standardisation, aussi bien dans les périphéries que dans les centres.
Ancrer l’architecture dans son territoire
C’est dans cet esprit qu’il signe, à Ostwald, commune de 13 000 habitants au sud de Strasbourg, un projet mené par Vinci Immobilier.
Le programme de 82 logements prend place dans l’écoquartier des Rives du Bohrie, un territoire en plein développement entre ville et nature.
“Le site n’est qu’à cinq minutes de la cathédrale de Strasbourg en tramway”, souligne-t-il. Un rappel qui résume l’enjeu : faire dialoguer la périphérie avec le centre.
Édouard François, figure majeure de l’architecture écologique française, propose alors un projet centré sur le colombage, symbole identitaire de l’Alsace. Une idée audacieuse qui a surpris au premier abord mais qui a su convaincre le jury par sa justesse et sa sensibilité au territoire.
Réinvestir le colombage
Pour l’architecte, s’inspirer des formes du passé n’a rien d’un blasphème. “Copier, c’est une façon de tisser la continuité de l’Histoire”, explique-t-il.
Cette approche traverse tout son travail. À Nice, dans le quartier du Ray, il a repris les façades colorées et végétalisées du centre-ville. “Certaines personnes m’ont félicité d’avoir conservé les façades existantes, alors qu’elles avaient été créées de toutes pièces”, s’amuse-t-il.
À Paris, pour le Fouquet’s Barrière, il a moulé une façade haussmannienne avant d’y percer de larges ouvertures contemporaines. Un geste considéré comme trop audacieux et qui avait nécessité une autorisation ministérielle.
Edouard François revendique une architecture expressive et généreuse. “Il faut fuir l’anorexie architecturale pour revenir au bon gras”, aime-t-il rappeler.
À Ostwald, cette philosophie prend corps.
Il conçoit un immeuble réalisé en béton bas carbone et bois. Du grès des Vosges est utilisé en soubassement, comme dans la tradition alsacienne : référence évidente à la cathédrale de Strasbourg, érigée dans la même pierre et située à quelques minutes du site.
Le colombage n’y est pas un décor mais un moteur de composition : empreintes en creux dans le béton, terrasses aériennes et jeux de volumes. “Le défi était de donner l’impression que tout le bâtiment repose sur ces structures, tout en respectant les contraintes du béton et des prémurs”. Une prouesse technique qui mêle dessin, ingénierie et sens du détail, jusque dans les pignons, où l’équipe s’est “amusée” à jouer avec les avancées et retraits de volumes.
- Screenshot
En façade, un poème à déchiffrer
Le projet s’inscrit dans le programme “Un immeuble, une œuvre” du ministère de la Culture, qui invite un artiste à participer à chaque réalisation immobilière. C’est dans ce cadre qu’intervient François Mangeol, dont l’œuvre s’intègre directement à l’architecture.
“Ce qui m’intéressait vraiment, c’était d’intervenir sur la façade”, explique-t-il. “Édouard François m’a donné carte blanche, on a ajusté au fil de l’eau.”
Le propos lui vient d’un souvenir familial : “Ma grand-mère alsacienne me racontait que les colombages cachaient des messages secrets. C’était plutôt une forme de signature des façadiers mais j’ai voulu prolonger cette idée. Le langage étant au cœur de ma pratique artistique.”
De là naît un alphabet graphique, inspiré du dessin des colombages, avec lequel l’artiste retranscrit un poème germanique évoquant le mythe des cigognes qui déposent les bébés. Cette référence locale trouve un écho direct sur le site, une gravière reconvertie en plan d’eau et aujourd’hui refuge pour les oiseaux.
Le poème, inscrit par empreinte dans le béton, devient lisible depuis le tramway ou les berges. Il se prolonge dans le hall du bâtiment où le texte est reproduit. “J’aime le fait que chaque habitant puisse en déchiffrer un fragment et se dire qu’il détient sa part du poème”, explique François Mangeol.
Un accueil à la hauteur du geste
Avant même son inauguration, le projet d’Ostwald a retenu l’attention. “Le projet a reçu un bel accueil et une belle visibilité” confie Édouard François.
Pour lui, cette réussite tient autant à la qualité du dessin qu’à l’engagement collectif qui l’a rendu possible. “C’était un projet complexe à dessiner, mais tout le monde, jusqu’à Vinci Immobilier, a joué le jeu. Une preuve que lorsqu’on a la conviction et l’envie, on peut faire exister des projets ambitieux.”
En savoir plus sur l’architecture : Édouard François
En savoir plus sur le créatif : François Mangeol
(plaisir de retrouver, suivre le travail de François sur le blog, depuis sa première apparition en 2011 pour une interview inspirante, à revoir ici)