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Histoire du design : Finn Juhl et le fauteuil France (FJ 136) 1956
L’architecte et designer danois Finn Juhl (1912-1989) est considéré comme l’un des pères du style « Danish Modern », style qui fit du Danemark la nation leader en matière d’ameublement domestique de la période d’après-guerre jusqu’aux années 60. Contemporain d’Arne Jacobsen et de Hans J. Wegner, Juhl représente un mobilier sculptural, fonctionnel, de style organique moderne, ancré dans la tradition du beau mobilier artisanale. Il trouve son inspiration dans le surréalisme et le cubisme, notamment chez le sculpteur Hans Arp.
Parmi ses créations les plus connues du grand public peuvent être nommées : le fauteuil Pelican (1940), le canapé Poet (1941) ainsi que les chaises FJ45 (1945) et Chieftains (1949).
L’un des meubles le plus connu de Finn Juhl, le fauteuil Chieftain, date de 1949 et a été fait en collaboration avec l’ébéniste Niels Vodder. Originalement en teck et cuir, le modèle existe aujourd’hui également en chêne et en noyer avec une assise en cuir ou en tissu Kvadrat.
Le fauteuil FJ 45. Encore une collaboration avec Niels Vodder. Créé en 1945, ce meuble fut exposé pour la première fois au Salon des ébénistes de l’automne à Copenhague en 1945. Représentatif du style organique et sculptural de Juhl, on note également ici la marque de fabrique de Juhl – la séparation très claire entre la structure portante et les éléments portés.
Le canapé Poet (1941), le fauteuil Chieftain et la table Pelican Le canapé Poète fait parti des premiers meubles rembourrés de F. Juhl. Très proche du milieu artistique danois autour du regroupement artistique « Linien », Juhl trouve très tôt son inspiration chez les sculpteurs de l’époque : Sonja Ferlov, Erik Thommesen et Jean Arp, et s’inspire également du surréalisme et du cubisme. Contrairement à certains de ses contemporains, comme par exemple Börge Mogensen, il n’essaie pas de rationaliser le meuble, mais s’inspirait du corps humain et notamment du torse, pour créer des meubles en harmonie avec l’homme. Il voyait dans le meuble une forme et un espace indépendant, comme un corps, mais également comme une sculpture, faite pour être montrée et vue de tous les côtés. Fervent partisan des créations d’œuvre d’art totale Juhl aimait mêler mobilier et art dans ses intérieurs.
Les formes organiques du canapé Poète (1941), tout comme le fauteuil Pelican (1940) sont inspirées par le surréalisme et l’art libre. Initialement créé pour sa propre maison, le canapé Poète fut également montré par l’ébéniste Niels Vodder lors de l’exposition annuelle des ébénistes en 1941. Ce n’est qu’en 1959 qu’il reçoit son surnom « le Poète », suite à son utilisation dans le film danois « Le poète et sa femme ».
Architecte de formation, diplômé en 1934 de l’école de Beaux Arts de Copenhague, Juhl reste célèbre pour son mobilier, mais il intervenait sur l’ensemble des secteurs de l’aménagement, comme le montre le service créé pour Bing & Gröndahl entre 1950 et 1952, la poubelle créé en 1954, ses lampes (1963), ses projets d’aménagement pour SAS, sa propre maison au nord de Copenhague, ainsi que l’aménagement fait pour l’ONU à New York.
Finn Juhl dessine en 1963 une série de lampes pour la compagnie danoise LYFA spécialisée en luminaires. Produites seulement pendant 7 ans, les modèles originaux de l’époque sont aujourd’hui très difficiles à trouver. Conçues selon Juhls vision de la liberté du mouvement, L’abat-jour extérieur bouge librement sur l’abat-jour intérieur permettant de diriger la lumière en fonction des besoins. Les lampes FJ sont en métal peint et ont été remises en production par ONECOLLECTION dans une combinaison de couleurs de deux nuances de gris.
Si Juhl est surtout connu pour avoir collaboré avec l’ébéniste Niels Vodder pendant les années 40 et 50, Bovirke pendant les années 50, ainsi que Ludvig Pontoppidan pendant les années 60, il va dès le début des années 50 entamer une carrière internationale en collaborant avec le firme américaine Baker, et ensuite avec France & Son. Ce sont surtout ses collaborations internationales qui vont lui permettre de développer une production en série. Depuis le début 2000 la société danoise OneCollection ont l’exclusivité de droits d’exploitation du fond Finn Juhl et réédite pour l’instant une quarantaine des modèles de Finn Juhl. Chaque année ils sortent quelques nouveaux modèles.
Récompensé par plusieurs distinctions, donc 5 médailles d’or au Salon du Meuble de Milan en 1954 et 1957, rien de plus normal qu’Onecollection a profité du Salone del Mobile à Milan cette année pour relancer l’un des fauteuils les plus emblématiques de l’aventure du Danish Modern des années 50, mais également l’un de moins connus ; le fauteuil FJ 136 – renommé la « France » chair de Finn Juhl.
Le fauteuil FJ 136 est initialement créé par Finn Juhl en 1956 pour France & Son pour le marché américain. Avec l’autorisation du fils James, OneCollection relance aujourd’hui ce modèle, sous le nom « France « . Il existe en bois hêtre, chêne ou chêne coloré noir avec une assise en tissu kvadrat ou en cuir.
Peu sont ceux qui savent que l’histoire du Danish Modern a commencée avec un entrepreneur anglais, Mister C.W.F. France. Arrivé au Danemark pendant les années 30 pour gérer une usine de fabrication de matelas, il est interné par les Allemands pendant la guerre, occasion pour France de réfléchir à un nouveau business, qu’il va ensuite réaliser pendant les années 50 et 60 : Collaborer avec une grande partie des architectes de meubles les plus en vue de l’époque, notamment Finn Juhl, pour créer des meubles de haute qualité qui pouvaient être produits industriellement, et être livrées à plat pour être assemblé sur place, selon le principe de « knock down », permettant ainsi d’exporter à des frais beaucoup moins importants que habituellement.
Au milieu des années 50 la firme France & Son exporte, à elle seule, 60% de l’ensemble de l’export du mobilier danois à l’étranger, et à son plus haut niveau emploie 350 personnes. C’est la période où le design danois se fait connaître en tant que Danish Modern à l’étranger, notamment en Allemagne, en Grande-Bretagne, en France et surtout aux Etats-Unis – mouvement qui connaît aujourd’hui un fort revival.
Le retour du siège FJ 136, renommé France
En 1956 Finn Juhl dessine le siège FJ136 pour France & Son. Ce siège destiné au marché US, y connaît un grand succès.
Dessiné pour une production industrielle, ce siège présente une construction plus simple que la plupart des autres designs de Juhl, mais garde l’expression organique typique de Juhl. Notons également la claire séparation entre les éléments portants et portés, autre caractéristique chez Juhl. Avec la construction légère en bois et l’assise et le dossier rembourrés arien, presque volants, ce siège a une expression presque aérodynamique. Comme toujours chez Finn Juhl l’accent a également été mis sur le travail des détails et le finish, qui est de qualité supérieur, malgré le fait qu’il s’agit d’un meuble pour une production industrielle.
Le directeur de OneCollection Henrik Sörensen dit du siège France : “C’est comme aujourd’hui. Il ne suffit pas d’être un génie si personne ne le sais. Finn Juhl a développé un trend avec son design unique et son expression artistique, mais c’est Monsieur France qui a su l’exporter dans le monde. C’est une histoire importante pour l’exportation du design du meuble danois, donc nous sommes tous fiers au Danemark et le siège France est un bel représentant pour cela “.
Nous pouvons découvrir toute l’histoire autour de France & Son dans l’excellent ouvrage France & Son – British Pioneer of Danish Furniture écrit par le fils James France. Cet ouvrage en anglais, disponible chez Triode à Paris, retrace toute l’histoire de la création de l’entreprise jusqu’à sa vente à Cadovius en 1966. Richement illustré par de nombreuses photos de l’époque, ce livre permet à la fois de comprendre le rôle précurseur qu’a eu France & Son notamment dans l’exportation de design danois à l’étranger, dans la création de meubles en pack (précurseur d’Ikea) permettant une exportation plus facile ainsi que l’utilisation du teck, avec son importation directement de l’Asie. Le livre met également en avant la proche collaboration de France & Son avec un certain nombre de designers danois, moins connus en France, comme Edvard Klindt-Larsen, Peter Hvidt & Orla Mölgaard-Nielsen et Arne Vodder, permettant par la même occasion d’identifier un certain nombre de meubles et leurs créateurs jusqu’à maintenant parfois mal attribués. Un livre à lire par tout passionné du design Danish Modern.
La couverture de l’excellente ouvrage « France & Son – British Pioneer of Danish Furniture » écrit par le fils James France. Ce livre, largement illustré de images de l’époque, permet de comprendre le rôle primordiale de France et Son dans l’exportation du « Danish Modern » et sa collaboration avec des nombreux designers danois de l’époque.
Le livre comprend également un catalogue des créations de France & Son à travers les années. Le 2ème de couverture du livre montre un échantillon des nombreuses productions chez France & Son. Ce livre est un outil indispensable pour l’amateur et collectionneur de design danois. A retrouver à la Galerie Triode, 28 rue Jacob, Paris 6ème.
Sources :
En Français Fiell, Le Design Scandinave, Taschen, 2003 Polster, Bernd, Dictionnaire du design scandinave, Seuil, 2001 Mehlhose, A., Wellner, M, 150 ans de design meubles modernes, Ullmann, 2012 et article.
En anglais France, J., France & Søn, British Pioneer of Danish Furniture, Vita, 2016 Hansen, H., P., Finn Juhl and his house, HATJE CANTZ VERLAG GMBH & CO, 2014 et article
En danois : Wivel, Henrik, Finn Juhl, Copenhague, Aschehoug 2004
Plus d’informations sur le designer : Finn Juhl (Site du designer)
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