La revue d'architecture et de design
MIAMI : la cohabitation des mouvements architecturaux
Repartons ce matin en compagnie de Juliette, notre reporter en direct de Miami qui analyse et décrypte l’architecture de cette ville aux influences croisées…
MIAMI : la cohabitation des mouvements architecturaux, à travers Herzog & de Meuron, les arts décoratifs et Philippe Starck
La ville de Miami est le reflet de la construction urbaine passant à travers différentes époques ainsi que les différents mouvements migratoires, économiques, et donc architecturaux qu’elles ont porté avec elles. En effet, il semblerait qu’une vague d’architecture contemporaine transforme peu à peu Miami en une nouvelle capitale de l’Amérique Latine.
Cela s’explique par le fait que, en plein boom de l’immobilier et à la suite de l’effondrement du marché il y a quelques années, plusieurs centaines de tours résidentielles sont construites entre 2003 et 2010 pour souvent ne pas être terminées. Aujourd’hui, autant de nouveaux projets prennent le dessus, construisant par dessus les débuts de chantiers ou bien commençant de nouvelles structures. Parmi ces projets se distinguent quelques architectes phares qui attirent l’attention et entraînent le développement de Miami grâce à leur image d’innovation et d’avant-garde : il s’agit notamment de Herzog & De Meuron, Zaha Hadid et OMA, à qui s’ajoutent des designers stars venant habiller l’intérieur de certains bâtiments, comme Philippe Starck. Ainsi, malgré le fait que la ville compte moins de 500 000 résidents et ne soit que la 42ème ville des Etats Unis en superficie, Miami devient peu à peu le point de rayonnement de l’architecture moderne en Amérique du Nord.
On remarque que les constructions qui précèdent le crash de l’immobilier entraînent une profusion de structures d’immeubles sans différentiation. Aujourd’hui, les architectes sont au contraire sollicités par les promoteurs pour apporter de la distinction, à la manière d’un outil marketing. Son caractère de ville tropicale, son identité latine et ses zones piétonnes issues d’une structure de ville à l’européenne, invitent effectivement les architectes à repenser leurs approches standards et trouver des solutions qui conviennent mieux au contexte de Miami.
Parmi les caractéristiques à explorer, on remarque notamment le fait que Miami a parfois pu perdre ses dispositions pour piétons en raison de l’équipement en climatisation et en garages intérieurs de tous les immeubles, favorisant donc les déplacements directement depuis les voitures jusqu’à l’intérieur des bâtiments. Mais cela semble changer avec l’apparition de plus en plus de restaurants et de cafés en terrasses, ainsi qu’avec la multiplication des déplacements à vélo.
Pour une ville américaine, l’idée que l’on puisse vivre en centre-ville, y faire ses achats et aller au restaurant sans voiture, semble être quelque chose de complètement nouveau. C’est ce qu’essaient de mettre en avant les architectes Suisses Herzog & De Meuron à travers le Perez Art Museum et le 1111 Lincoln Road Garage, en créant des monuments qui respirent; et en prenant alors le contre-pieds du style hermétique nord-américain à travers lequel la vie s’organise autour de la climatisation.
C’est pour cela que le Perez Art Museum revet une structure légère et aérienne, soutenant un jardin en hauteur pour entourer le bâtiment de végétaux et l’introduire intuitivement dans cet environnement mangrovien. Le bâtiment, constitué de boîtes de béton sur pilotis, semble réinvestir les principes majeurs de l’architecture moderne comme l’évoquait l’UAM et Le Corbusier, avec une communication entre les pièces facilitée par une architecture rationnelle et un aménagement minimal.
Les collections du musée font également écho au dessein de l’Union des Artistes Modernes des années 1940 : regrouper artistes et artisans pour défendre les idéaux sociaux à travers la collaboration de l’art, de l’industrie et du travail manuel. Le 1111 Lincoln Road Garage, lui, est situé en plein centre de Miami Beach, dans la zone la plus piétonne et commerciale de la ville. Il n’est donc pas question de circuler en voiture dans les alentours, et pour cause : Lincoln Road est une rue piétonne. Le garage, situé au début de Lincoln Road, est donc une invitation aux conducteurs arrivant à Miami Beach à dorénavant circuler à pieds.
Construit sur un principe de superposition de plans horizontaux sur pilotis asymétriques, il répond également au besoin majeur de l’architecture moderne de se libérer des murs porteurs pour offrir de plus grands espaces et une meilleure circulation à l’intérieur du bâtiment. Cependant, il est difficile de faire la différence entre l’intérieur et l’extérieur avec ce garage sur lequel on semble avoir oublié de rajouter les murs, et où les barrières qui protègent les bords du parking sont à peine perceptibles. La com – position du bâtiment en mille-feuilles, irrégulière, répond à plusieurs besoins : de plus bas espaces pour les voitures, de plus hauts pour les espaces de vente qu’il abrite. En effet, plus qu’un parking, 1111 Lincoln Road s’inclue dans cette rue commerciale comme espace de vente en lui même, servant de toit à onze boutiques et trois restaurants.
C’est de cette façon que les nouveaux promoteurs immobiliers et investisseurs, en grande partie provenant d’Amérique du Sud, se disputent les parties de Miami et Miami Beach à rénover, exploiter ou réinventer. Cela entraîne alors une cohabitation d’immeubles originaires de mouvements architecturaux antérieurs, avec l’arrivée d’un nouveau mode de vie et de nouveaux besoins pour les- quels architectes et designers apportent des solutions contemporaines. Effectivement, on observe une affluence d’argent venant d’Amérique du Sud, qui attire les architectes mondiaux comme Sou Fujimoto, Bjanke Ingels ou encore OMA qui développement des monuments culturels ou résidentiels prestigieux.
Miami étant le portail d’entrée des latino-américains vers les Etats-Unis; la proximité et les liens culturels forts font de Miami, aux yeux des investisseurs sud-américains, un placement plus sûr pour leur argent que leurs propres pays; et cet argent contri-bue à la croissance de la ville. A cela s’ajoute l’influence du festival d’art contemporain Art Basel qui s’établit à Miami chaque année et donne à la ville un poids culturel qui convainc les entrepreneurs locaux d’investir dans l’architecture d’avant-garde. C’est également à travers celle-ci que le l’importance culturelle de la ville s’étend, comme l’expliquent Herzog & De Meuron : « Art Basel a joué un rôle décisif dans la transition d’une ville de bord de plage à plus que cela. A l’arrivée d’Art Basel, ce changement a commencé et il a aujourd’hui réellement transformé la ville par rapport à ce qu’elle était avant ». Nous constatons effectivement que l’intervention d’architectes internationaux entraîne la trans- formation de Miami d’une station balnéaire pour retraités en une destination culturelle majeure. L’activité s’étend et grandit ainsi de- puis le quartier de Brickell et de Downtown Miami à celui de South Beach (Miami Beach); ressuscitant des quartiers originellement très passés de mode et peu attrayants.
Certains projets apparaissent alors comme des exemples représentatifs de la cohabitation de cette nouvelle architecture et de la structure historique art deco de Mia- mi, comme le SLS Brickell Hotel dessiné par la grande firme locale Arquitectonica et dont les intérieurs sont pensés par Philippe Starck, ou bien le Delano Hotel dessiné par Robert Swartburg, également aménagé par Starck. Le SLS Brickell semble en effet être inspiré des structures géométriques des bâ-timents art déco dans sa composition angu-laire et ses balcons triangulaires qui évoluent en spirales régulières autour du bâtiment.
A la lumière du jour, les balcons créent des lignes diagonales sur le bâtiment et dessinent son dynamisme. Ces diagonales apparaissent comme des lignes de fuite, donnant au bâti- ment une certaine esthétique aérodynamique qui relie ce projet architectural contemporain à l’architecture historique de la ville : le mélange des arts décoratifs et du streamline. Le bâtiment semble être conçu comme un prisme dont le but serait de refléter la géométrie de la ville. L’hôtel siège effectivement au croisement de deux des principales artères de Miami, Coral Way et South Miami Avenue; et sa position à l’angle des deux rues met en avant sa géométrie angulaire à laquelle s’ajoute les lignes dynamiques que dessinent les balcons, créant alors un mouvement aérien qui reflète l‘activité de la ville et le dynamisme du trafic qui entoure l’immeuble.
Par ailleurs, les LED qui marquent chaque balcon triangulaire mettent en avant le volume du bâtiment et donnent une impression de surface en relief, tandis que l’intervention de l’artiste Markus Linnenbrink avec sa fresque colorée sur la surface des premiers étages de l’hotel se veut donner une impression « d’ensemble de coups de brosse », qui reprend le principe d’ornementation par la couleur qui régit l’architecture art deco de Miami. A cela s’ajoute le design intérieur par Philippe Starck, qui aménage les chambres dans des tons roses, noirs et blancs. Il reflète la même intention que l’on perçoit à l’extérieur du bâtiment de défier les limites de l’espace et de donner une impression visuelle de grandeur et de mouvement, à travers la mise en place de jeux de miroirs entre le plafond et les murs pour offrir un espace visuel plus aéré dans les chambres.
Cela est sans compter le fait qu’à l’extérieur, le SLS Brickell Hotel tente également, à l’instar du Tropical Deco dans les années 1980, de réimplanter la végétation locale dans l’architecture. L’arrivée pour les piétons dans l’hôtel se fait donc à travers un encadrement botanique offrant intimité et coupure entre la rue et l’hôtel lui-même. De la même façon, le Delano Hotel est indéniablement à l’image de l’histoire architecturale de Miami Beach. Si certains l’associent plutôt au style moderne, sa structure symétrique est construite sur la «règle de trois» des arts décoratifs, rassemblant tous les éléments par association de trois. L’hô- tel, rénové dans les années 1980, a gardé son apparence art déco et ses tons essentiellement blancs, à l’image du quartier art déco de Miami Beach.
A ces tons épurés à l’extérieur s’ajoutent une dimension intemporelle laissée par les immenses rideaux blancs transparents qui traversent le hall d’entrée long de plusieurs centaines de mètres, qui lui confèrent une atmosphère mystique, et à laquelle participe le mobilier éclectique. En effet, en opposition à la simplicité et au peu d’ornementation qu’offrent les traits arts décos du quartier, Philippe Starck a conçu l’intérieur de l’hôtel comme un musée d’artisanat baroque et de design contemporain, dans lequel pas un meuble n’est identique à son voisin. Cet intérieur débordant de pièces ostentatoires va même jusqu’à subtilement exposer du Dali et du Man Ray, sans presque l’on s’en aperçoive. Les clients passent de chaises Ghost One more please épurées, à des tables ornées de pieds d’animaux ou à des fauteuils capitonnés. On retrouve la dualité des tendances de clubs underground qui ont traversé Miami Beach dans les années 1980, entre espaces sombres et isolés et traversées de lumières. Ainsi, prenant le contrepied du lobby, les chambres sont essentiellement blanches et pures, bien que parsemées d’objets éthniques. Pour les espaces communs, Starck fonde l’aménagement sur le concept de climatisation minimale afin de refléter au mieux la notion de «tropical living». En ferme opposition à la tendance locale des intérieurs pleins de soleil et réfrigérés, l’hôtel est conçu comme une progression de pièces sombres et brumeuses menant vers les jardins et la piscine. Pour correspondre à l’es- thétique art déco qui définit en grande par- tie Miami Beach, les rénovations du Delano n’ont donc pas cherché à altérer l’extérieur de l’hôtel mais en ont complètement transformé l’intérieur pour garder l’essence de Miami : sa météo, ses odeurs, la qualité de son eau et l’atmosphère d’un lieu d’aventures; plutôt que de surfer sur une épure à l’extrême issue de l’anecdote des arts décos passés. Miami semble donc être un lieu iconique du design régénératif.
La rénovation des bâtiments arts décos dans les années 1980, préservant l’histoire architecturale de la ville tout en y ajoutant des touches plus actuelles, développe la mise en avant des boutiques-hôtels et des galeries d’art plutôt que des marques grand public très répandues aux Etats-Unis. A la suite des rénovations des années 1980, on s’est alors penché sur les opportunités qu’offraient d’anciens quartiers de vente de mobilier et de décoration; et on les a alors reformatés pour qu’y prennent aujourd’hui place des hôtels luxueux, des marques haut de gamme et des galeries d’art, développant les quartiers les plus attractifs de Miami : le Design District et Wynwood Art District, lieux attractifs pour les intellectuels et les amateurs de haute gastronomie ou de haute couture. Le principal promoteur immobilier de Miami, Craig Robins, explique ainsi : « Miami Beach devenait un lieu telle- ment commercial que j’ai pensé que la ville aurait besoin d’une sorte de laboratoire créatif, un lieu important où auraient lieu les évènements intéressants, et où la définition de ce qui peut se faire ou non ne serait pas aussi rigide». Ces nouveaux quartiers deviennent donc peu à peu les fiefs des hôtels de luxe, où le design de Starck semble particulièrement valorisé.
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