Design intime entretien avec Isabelle Deslauriers

20 mai 2016 /
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Design intime entretien avec Isabelle Deslauriers

« Savez-vous ce que contiennent vos jouets sexuels ? »

A l’heure où l’on se pose des questions sur les compositions des jouets destinés à nos enfants, regarder la composition d’un jouet érotique n’est pas un réflexe naturel.

Et pourtant, c’est ce qu’a fait Isabelle Deslauriers, créatrice de la marque Désirables en répondant à cette problématique par une proposition audacieuse et éthique. Depuis maintenant deux ans et demi, Désirables est une entreprise de design spécialisée dans la conception de nouveaux accessoires d’intimité. Ces accessoires ont pour but d’offrir une alternative plus éthique et responsable mais aussi plus en harmonie avec la réalité érotique des couples.

Design intime entretien avec Isabelle Deslauriers

Désirables propose donc deux produits phares dédiés à la femme qui sont tous les deux fabriqués entièrement en porcelaine et à la main au Québec.

Design intime entretien avec Isabelle Deslauriers

Ces deux objets intimes adoptent des lignes épurées et élégantes associées à la blancheur de la porcelaine. Ils deviennent donc très discrets et se font oublier facilement.

ADORI – DESIRABLES

ADORI – DESIRABLES

ADORI – DESIRABLES

ADORI – DESIRABLES

Le premier est un lot de pierres de massage en porcelaine appelé Adori aux formes courbes adoptant une ergonomie adéquate pour un massage du corps. Il y a trois formats s’adaptant aux différents muscles du corps.

Adori a deux finitions, une face émaillée permettant à l’objet de glisser facilement sur la peau et l’autre non-émaillée pour une meilleure préhension.

DALIA - DESIRABLES

DALIA – DESIRABLES

Le second objet intime conçu par Désirables est Dalia. Il s’agit d’un godemiché en porcelaine émaillée qui se réchauffe naturellement au contact de la chaleur du corps.

Conçu à la fois pour le plaisir et la santé de ses utilisatrices, Dalia propose deux extrémités : l’une pour explorer le corps et stimuler le point G. L’autre par son arrondi est plus adaptée aux exercices Kegels.

Isabelle Deslauriers à bien voulu nous expliquer son parcours, partager sa réflexion sur le monde des jouets érotiques et ses choix pour son design.

Design intime entretien avec Isabelle Deslauriers Design intime entretien avec Isabelle Deslauriers

Isabelle, peux-tu te présenter en quelques mots, s’il te plait ?


Je suis une designer québécoise et vit à Montréal. Je viens d’une famille entrepreneuriale. Mon père a sa propre entreprise, il a commencé à la maison et emploie maintenant une soixantaine de personnes. J’ai toujours su que moi aussi je voulais créer mon entreprise, il fallait juste que je trouve la bonne idée. Je savais qu’il fallait que ça soit un sujet qui devrait me passionner pendant longtemps.

J’ai donc fini mes études en design industriel et j’ai créé mon entreprise Désirables.

Comment t’es venue l’envie de travailler dans le monde du jouet érotique ?


Tout a commencé en 2011 où j’ai critiqué pas mal les jouets érotiques, puis mes amis m’ont mis au défi de créer des sextoys pour mon projet final de diplôme

Un peu gênée au début d’en parler à mon père qui m’avait payé mes études, je lui en ai parlé en blaguant et finalement il n’était pas du tout contre, il trouvait que c’était une bonne idée.

Je me suis lancée et j’ai trouvé beaucoup de problèmes dans cette industrie. J’ai été tellement offusquée par ce qui se faisait au niveau éthique que je me suis dit qu’il fallait que quelqu’un se lance et change un peu la donne. Il y a avait aussi toute une catégorie de personnes oubliées par ce marché.

J’ai donc fait des recherches pas seulement au niveau du design industriel mais aussi au niveau de la sexologie. Je me suis rendue alors compte que les produits qui sont sensés aider le couple, aider l’évolution érotique d’une personne, sont au final des objets qui créent plus de problèmes car ils sont mal conçus.

Comment s’est déroulée la création de Désirables ? Quelles sont les étapes franchies pour en arriver là aujourd’hui ?


Croquis et première maquettes de recherches de forme

Croquis et première maquettes de recherches de forme

Désirables a donc commencé en 2011 durant mes études en design à l’Université de Montréal. Je suis ensuite allée à HEC Montréal et j’ai gagné plusieurs bourses ce qui m’a permis d’avoir le capital nécessaire pour démarrer l’entreprise assez rapidement.

Croquis et première maquettes de recherches de forme

Croquis et première maquettes de recherches de forme

Je me suis donc lancée dans la recherche de fournisseurs : céramistes, packaging, livrets et site web. C’est une remise en question permanente par exemple pour l’expédition, au début les produits arrivaient brisés bien que dans un emballage spécialisé. Il a fallu améliorer ça rapidement.

Packaging ADORI

Packaging ADORI

Trouver des céramistes au Québec qui peuvent travailler par moulage en quantité souhaitée est très difficile car au Québec on trouve principalement des céramistes tourneurs.

C’est un travail de longue haleine de trouver un bon céramiste qui est prêt à travailler avec des designers. Mais c’est déjà plus facile pour de petits objets.

Au Québec, nous avons une demande de plus en plus élevée des designers à faire produire en céramique. La main d’œuvre qualifiée n’est pas encore au rendez-vous mais le secteur est en train d’évoluer !

Puis j’ai appris à faire le moule par mes propres moyens car c’est quelque chose d’assez abordable techniquement et qui peut vite revenir très cher. J’ai donc utilisé l’impression 3D.

Très vite et avant même d’avoir une réelle production, j’ai été acceptée à des salons sur Montréal comme la Sout@Sak. Je suis également passée dans un gros journal à Montréal qui m’a pas mal aidée en termes de visibilité.

Il y a un an, j’ai participé à l’émission Montréalaise L’œil du Dragon, émission qui allait me permettre d’avoir la visibilité que je souhaitais et pourquoi pas trouver des associés.

Suite à ces interventions, j’ai toujours eu des encouragements favorables sur mes produits, les personnes avaient bien compris l’éthique dans ma démarche.

Je suis actuellement en train de me renseigner pour pouvoir distribuer facilement en Europe en évitant des coups d’envoi unitaire trop élevés car c’est un produit résolument plus Européen.

Aujourd’hui, je suis seule à travailler à Désirables, mais j’ai régulièrement des stagiaires et des personnes à temps partiel qui aident à l’avancée du projet. J’aime fonctionner aussi sur un système d’échanges de services.

Bientôt il faudra que je trouve une nouvelle personne à employer car c’est difficile de tout gérer seule. Voici une vidéo de présentation du projet de la conception à la fabrication :

L’univers du sextoy est assez tabou en général, quelles ont été les problèmes rencontrés lors de la création de Désirables ?


Les réactions de ton entourage ? Du corps enseignants ? Tout d’abord j’ai dû me confronter à certains professeurs qui avaient une vision beaucoup plus classique du design industriel et plus proche de l’ingénierie. Ils avaient du mal à voir la valeur éthique du projet.

Ils devaient penser que c’étaient simplement pour faire un objet de consommation de masse. Et éthiquement parlant, ils étaient très mal à l’aise avec le projet. J’ai même été ralentie par certaines démarches administratives universitaires. Mais je suis allée de l’avant et quand j’ai présenté le projet à HEC, il a été bien mieux reçu. D’autres professeurs voyaient la valeur éthique dans ma démarche. Alors que je pensais qu’à HEC le problème persisterait, finalement ils ont bien compris ma volonté d’aider à améliorer la qualité de vie des gens.

Design intime entretien avec Isabelle Deslauriers

Pourquoi le choix de la porcelaine émaillée pour la fabrication de tes jouets ?


Quand on fait des recherches sur les matériaux qui composent les jouets érotiques et surtout les parties en contact avec les muqueuses, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de plastique qui contiennent entre autres des phtalates.

Les phtalates sont des additifs plastiques pour adoucir la matière. Mais qui, à une utilisation trop fréquente en contact avec les muqueuses peuvent être un perturbateur endocrinien en migrant dans notre système sanguin. En France, le phtalate présent dans les jouets pour enfants est toléré en dessous de 1%. Les phtalates sont mêmes interdits pour nos bouteilles d’eau…

J’étais assez horrifiée. Les fabricants de sex toys ne sont pas obligés de mentionner la composition de leur produit. C’est une industrie pas du tout réglementée. Et le consommateur ne va pas s’en plaindre car c’est un sujet bien trop tabou.

En étudiant les matériaux bons pour le corps (comme vous pouvez le voir sur notre infographie ci-dessous) la porcelaine est apparue comme le matériau sous exploité.

Infographie sur les différentes matières utilisées

Infographie sur les différentes matières utilisées

Avec la porcelaine, on peut obtenir une surface lisse et régulière qui facilite le nettoyage, qu’elle soit émaillée ou non. C’est un matériau hypo-allergène parfait pour une utilisation interne. L’utilisation de tout lubrifiant à base d’eau ou de silicone est compatible. La porcelaine, c’est aussi l’assurance d’une grande solidité.

C’est aussi un matériau très beau qui n’a pas besoin de traitement supplémentaire.

De plus, c’est un matériau « peu cher » à faire produire. Avec la porcelaine, je n’ai pas été obligée de faire fabriquer et stocker des milliers de produits. Par rapport au coût de démarrage d’un produit en injection plastique, j’ai pu gérer mes quantités. Il a juste suffit de trouver un artisan disponible.

Tous nos producteurs sont à maximum 90km de Montréal. Mon principal artisan est d’ailleurs à 10 min de voiture de Désirables ce qui me facilite beaucoup la tâche.

J’adore pouvoir avancer avec le producteur, créer de nouveaux produits, avoir de nouvelles idées, s’il y a des problèmes on en discute tout de suite et on les règle dans la foulée. C’est un gain de temps inimaginable, je peux suivre chaque production.

Le plus de la porcelaine, c’est la valeur ajoutée au produit. La porcelaine fabriquée à la main permet aussi l’apparition de petits « défauts » qui plaisent aux acheteurs car ils savent que c’est fait à la main avec attention. Bien sûr nous veillons à ce que ça ne soit pas des défauts majeurs.

Je vais d’ailleurs bientôt travailler avec une céramiste québécoise qui importe sa matière première de France, de Limoges ! Les moules seront fabriqués à Limoges. Cette série-là ne sera pas émaillée. La porcelaine une fois cuite n’a pas besoin d’être émaillée pour être hygiénique. C’est juste une question d’esthétique.

L’image « fragile » de la porcelaine freine-t-elle certaines potentielles utilisatrices ?


Pour cette question-là, c’est mieux quand ça se passe lorsque je suis en face à face avec le client. Je mets souvent au défi les personnes de casser un Dalia de leurs propres mains contre un nouveau gratuit. Pour le moment personne n’y est arrivé !

C’est un produit incassable en utilisation. Les seules fois où il se brise, c’est lorsqu’il va tomber sur un sol en béton ou en céramique. Les produits sont fabriqués en pressage, ils sont donc pleins. C’est incroyablement solide.

Etapes de fabrications par pressage jusqu’à l’émaillage – Hugo Dider céramiste

Etapes de fabrications par pressage jusqu’à l’émaillage – Hugo Dider céramiste

Il est vrai qu’éventuellement, je devrais faire une vidéo ou bien du matériel informatif sur ce sujet qui peut être une des barrières d’achat.

Quels autres freins peuvent avoir les futurs clients ?


Je m’attendais à plus de critiques que ça. La seule critique que j’ai eu de la part de certaines personnes, ce n’est pas par rapport à la validité « éthique » de mon produit ou de sa matière. Les seules critiques que j’ai ce sont des personnes qui aiment la vibration, effectivement il s’agit d’un godemiché qui ne vibre pas.

Je leur réponds alors que la vibration n’est pas faite pour tout le monde. Mais aussi que des recherches sur le fonctionnement du cerveau et des terminaisons nerveuses prouvant la vibration comme seule stimulation érotique peut poser des problèmes à long terme. Il y a une question de performance qui entraine un stresse supplémentaire.

35% des clients sont des hommes qui vont offrir un jouet érotique à leur partenaire, se sentant ainsi beaucoup moins en compétition avec le produit. Ils savent qu’ils vont faire partie de l’expérience avec elle.

ADORI - DESIRABLES

ADORI – DESIRABLES

Comment vois-tu l’avenir de Désirables ? Sur quels autres projets désirerais-tu travailler ?


C’est le problème du designer industriel qui lance son entreprise, on veut sortir des produits toutes les semaines. J’ai commercialisé des huiles de massages et travaille maintenant sur une barre solide végan de massage qui viendra fondre au fur et à mesure du massage au contact de la peau. Éventuellement, j’aimerai créer une collection de lingerie éthique, ce qui n’est pas présent sur le marché montréalais. Ce sont des projets à long terme, mon but étant de faire connaitre Désirables à travers le monde.

DALIA - DESIRABLES

DALIA – DESIRABLES

Une des clientes qui s’est acheté un Dalia dans le but de se réapproprier sa sexualité a présenté Désirables à sa physiothérapeute qui a ensuite pris contact avec moi. La forme du Dalia est parfaite pour la réadaptation physique périnéale. Il n’y a donc pas besoin de changer le produit mais seulement de faire évoluer l’information autour de celui-ci.

Je souhaiterai ouvrir une compagnie sœur qui serait spécialisée dans le matériel de réadaptation physique périnéale pour homme et femme. C’est un domaine complétement sous-estimé. Les patients achètent généralement des sex toys pas du tout adaptés à leur thérapie de réadaptation. Il y a donc un fort potentiel dans ce marché-là

De plus, la physiothérapie est une approche très intime. Avec les produits Désirables, les clients se sentent choyées. Ce n’est pas juste acheter un produit érotique mais vraiment prendre soin de soi à plusieurs niveaux.

C’est un sujet qui m’avait déjà interpellée mais je ne me sentais pas à la hauteur de mener à bien ce projet seulement avec mes compétences. C’est donc une excellente rencontre ! Ce projet est vraiment une continuité de ce que je voulais faire en créant Désirables : améliorer la qualité de vie des personnes sur le plan érotique.

Selon toi, quel est le rôle du designer dans la société actuelle ?


Le designer doit être empathique. Il doit être apte à se mettre à la place des gens dans certaines situations. Puis de pouvoir développer des outils, des produits ou des services qui vont pouvoir améliorer la qualité de vie des gens en général.

Pour moi le designer est aussi un traducteur. C’est-à-dire qu’il va être capable de parler avec plusieurs professionnels de plusieurs domaines. Il est capable de se mettre au centre et puis de comprendre ce que tout le monde dit et de le traduire dans un langage commun pour tous. Traduire les besoins de chaque profession impliquée dans le projet, les mettre dans un tout cohérent qui va bien fonctionner pour l’utilisateur.

Plus d’information sur la marque : Desirables

By Blog Esprit Design


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À propos de l'auteur
Marion Brun
Designer produit chez 
Studio Martho
Designer produit et cofondatrice du Studio Martho, studio de création et de design produit.

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  1.  Un objet c’est un nom, une fonction , une categorie… Il faut être categori(quement ) et concept(uellement) Marho pour dire que cette chose est  un jouet ou un outil  Un jouet est generalement associé aux enfants. Un outil  concerne   une action sur un élément d’environnement à traiter. C’est  analogiquement et presque formellement  une poignée de porte …..du paradis sexuel feminin.  C’est un objet sexuel, un objet phallique  qui ne vibre pas . C’est donc  un   godemichet   dédié à la pénétration vaginale .  C’est un objet  quand on    le  regarde  devant soit mais quand il est en soit ce devait être un  simulateur sexuelle, un dispositif médical soumis en particulier à la matériauvigilance.

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