La revue d'architecture et de design
Entretien avec Pascaline Rey autour de sa création pour Les Uniques par La Redoute Intérieurs
Suite à notre découverte de l’initiative “Les Uniques” menée par La Redoute Intérieurs, où huit créateurs de talent réinventent le design à travers une approche artistique et engagée, nous souhaitions tirer un peu plus le fil de la création et nous immerger un peu plus dans le travail de la créatrice Pascaline Rey qui signe une pièce détonante à partir d’un bureau, avec un plateau de forme libre et organique accueillant un paysage de banquise en céramique émaillé blanc, le tout accompagné d’une lampe en métal. Prêt(e)s à plonger dans l’univers de Pascaline ?
1. Pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas, vous êtes artiste-plasticienne, sculptrice, mais aussi fondatrice de la marque de bijoux De Maarse Paris. Pouvez-vous revenir sur votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a attirée dans cette aventure ?
Quand je dis que je suis sculptrice, je veux dire que je travaille en volume exclusivement. Peu importe qu’il s’agisse d’un bijou, d’une sculpture ou d’un meuble, je crée un objet dans un espace en trois dimensions. Je travaille en faisant de rapides croquis pour visualiser mon projet puis je me lance directement sur la matière. J’ai appris à travailler sur le volume en me formant à des techniques multiples : la céramique, le textile, le plâtre, le métal, le verre, l’émaillage etc… Ces savoir-faire me donnent une grande liberté dans mon travail, notamment dans l’exploration de nouvelles textures ou l’hybridation des matières.
L’ensemble de ma démarche artistique tourne autour de cette idée de toucher l’invisible, donner une forme à des idées, provoquer les sens pour enrichir la perception et faire naître un monde sensible. J’ai été très heureuse que Sylvette Lepers pense à moi pour rejoindre cette aventure. Cette invitation à donner une nouvelle dimension à un meuble fonctionnel était l’opportunité de repenser ce bureau dans sa structure même pour transformer un objet purement utilitaire en un objet sensible.
2. L’œuvre que vous avez réalisée pour “Les Uniques” transforme un bureau industriel en une création poétique et émotive. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez abordé cette transformation et ce que vous souhaitiez exprimer à travers cette métamorphose ?
Lorsque je suis venue choisir un meuble aux Aubaines de la Redoute, je savais que je souhaitais réaliser une œuvre immersive et poétique. Je devais trouver la bonne pièce qui me permettrait cette transformation. Je me suis arrêtée sur ce petit bureau vert car sa couleur m’a immédiatement fait penser à l’Islande et à la banquise. J’ai tout de suite visualisé mon projet. Avec sa forme rectangulaire, sa dimension compacte, son tiroir fonctionnel, son piètement métal, le meuble avait été conçu dans une logique industrielle rationnelle. J’ai commencé par réaliser une extension aléatoire en dessinant une courbe d’un geste à main levée, une surface sans réelle utilité.
Cette extension est notre part irrationnelle, plus émotionnelle, négligée dans la plupart des environnements de travail. Puis, j’ai créé un paysage, des icebergs, pour qu’assis à ce bureau, on puisse s’évader, rêver, que l’imagination et la créativité soient stimulées. Cette banquise évoque également la fragilité et l’obligation de préservation qui nous incombe. Nous devons cesser de voir la nature comme une ressource à exploiter. Et ce qui est vrai pour la nature est aussi vrai pour chacun d’entre-nous. Nous ne sommes pas des ressources à exploiter, nous avons nos fragilités et nous devons être préservés. Enfin, j’ai éprouvé le besoin de rééquilibrer ce bureau dans sa partie fonctionnelle (droite). J’ai choisi de faire une lampe dans une plaque de métal récupéré dans mon atelier. J’ai plié le métal pour retrouver les lignes des icebergs. J’ai pris soin de la garnir de feutre au pied pour qu’elle puisse glisser partout sur le plan de travail. Comme pour le piètement du bureau, j’ai récupéré le métal brut avec une finition brossée, la marque de fabrique des bijoux De Maarse Paris.
J’ai voulu retrouver ce métal qui m’évoque les stations météos ou les bases vie des zones polaires, ayant à l’esprit le scintillement du soleil rasant sur le métal argenté. Cette métamorphose conduit à une réflexion sur le travail et son environnement qui s’est considérablement transformé ces dernières années. À l’heure où le télétravail fait entrer le bureau à la maison, le bureau laisse de moins en moins de place à la sphère privée notamment avec le développement du flex-office. Le principe est de supprimer les bureaux attitrés, tous les bureaux sont identiques, vous vous installez dans le bureau disponible le jour et l’heure où vous arrivez. C’est un moyen efficace de diminuer le nombre de postes de travail et de réaliser des économies. Au moment où les entreprises cherchent à stimuler l’engagement, la motivation, l’esprit d’équipe, l’adhésion, donner du sens au travail, on banalise, on standardise, on optimise les mètres carrés. Dans ce monde extrêmement rationnel et fondé sur la praticité, la productivité et l’optimisation, offrir des occasions de s’évader, de stimuler l’imaginaton, de faire une pause, permet d’ouvrir une fenêtre.
Et quand on ouvre une fenêtre, on ne l’ouvre pas seulement pour les yeux, on l’ouvre aussi pour l’esprit, on donne à voir plus loin, on donne à voir autrement et ça, je pense que c’est vital pour tous. L’entreprise qui ne comprend pas ça, se prive de beaucoup d’énergie et d’idées.
3. Quelles sont les influences ou inspirations qui ont guidé votre démarche artistique ?
Le mouvement surréaliste est une source majeure d’inspiration car il a été le laboratoire de toutes les expérimentations : de la pensée, des sens, des matériaux, de l’hybridation des techniques. Au sein du mouvement , Dorothea Tanning, dernière femme de Max Ernst, a été ma grande inspiratrice. A la fois peintre, sculptrice, scénographe, créatrice de bijoux, elle a travaillé sur l’identité féminine, les rêves, la mémoire notamment sur ses sculptures textiles qui m‘ont beaucoup inspirées. D’autres femmes ont marqué mon travail : Niki de Saint-Phalle pour ses performances, Judy Chicago pour ses installations The Woman House et The dinner Party, Louise Bourgeois pour son travail en tapisserie.
Côté design, je pense à Gaetano Pesce pour de multiples raisons : à la fois architecte, designer, peintre, performeur, créateur de bijoux, il cherche l’émotion quand il crée ses oeuvres et mixte toutes sortes de matériaux. Enfin, le Bauhaus pour ce va et vient entre art et arts appliqués. Et puis ma passion de toujours pour la danse m’a permis sans doute d’ajouter une dimension plus sensorielle, voire corporelle à mon travail.
4. L’ajout du paysage de banquise en céramique émaillée est une touche marquante de votre œuvre.
Quelle signification revêt ce paysage suspendu, et comment cela dialogue-t-il avec le concept d’upcycling de la collection ? En dehors du fait que j’aime particulièrement les paysages de banquises, je ne pouvais pas faire autre chose tant la scène était parfaite : le paysage magique de la banquise reste un symbole du risque climatique. La table upcyclée met en scène l’enjeu de l’upcycling. La forme et le fond traitent le sujet.
5. En tant qu’artiste engagée dans la réflexion sur l’identité féminine, comment percevez-vous la dimension sociale de ce projet, notamment en lien avec l’association Solfa et la cause qu’elle défend ?
Mon travail sur l’identité féminine m’a amenée à intervenir auprès de femmes fragilisées il y a quelques années au travers d’ateliers de sculpture. C’est une cause qui me tient particulièrement à coeur. Aider, protéger, accompagner des femmes en difficulté est un sujet essentiel pour la société. Notre avenir et celui de nos enfants en dépendent. Pour La Redoute, entreprise que j’imagine majoritairement féminine et dont les clients sont en grande partie des femmes, cet engagement est très cohérent.
Avoir choisi Solfa me semble être très juste : Solfa est une association des Hauts de France, qui agit très concretement sur son territoire. La Redoute aurait pu faire le choix d’une grosse association médiatique d’Ile de France. J’aime cette idée de l’entreprise qui intervient en soutien de son environnement immédiat.
6. Ce projet rassemble des créateurs de différents horizons, mêlant art, design et mode. Comment votre travail s’inscrit-il dans cette dynamique collective et en quoi cette rencontre de disciplines vous inspire-t-elle ?
Je suis très heureuse qu’enfin, les disciplines dialoguent entre elles, sans mépris de l’une plus noble que l’autre ou d’opposition entre art et arts appliqués. La mode a joué un rôle important contribuant depuis quelques années à mêler art, design, danse, et plus largement toute forme de création.
En nous réunissant sur un même exercice, La Redoute met à l’honneur les créateurs en démontrant que notre créativité, nos savoir-faire, nos matières se déclinent bien au-delà de nos domaines de prédilection et ouvrent pour chacun un champs créatif à explorer.
7. Pour vous, quel rôle l’art et le design peuvent-ils jouer dans la société aujourd’hui, en particulier dans un projet comme “Les Uniques” qui mêle solidarité, créativité et réflexion sur la consommation responsable ?
L’art et le design ont un rôle majeur à jouer. Les artistes et les designers ou les stylistes puisent leurs inspirations dans l’observation des modes de vie avec un oeil visionnaire, cette faculté d’anticiper les mutations de nos sociétés, ils donnent à voir autrement, font des pas de côté.
Ils scrutent toutes les dimensions à la fois : sociales, esthétiques, émotionnelle, fonctionnelle. Ce regard nouveau est d’autant plus libre et créatif lorsqu’il sort de leur champs habituel d’intervention. L’art et le design doivent offrir ce regard nouveau, éveiller les consciences et contribuer à construire un monde meilleur.
Merci à Pascaline pour son temps et ses mots.
PASCALINE REY, LE 26 FÉVRIER 2025
En savoir plus sur : Les Uniques – La redoute
En savoir plus sur la designer : Pascaline Rey
propos recueillis par Blog Esprit Design