Expérimentations et innovations textiles au Bauhaus

19 mai 2016 /
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Stefanie Brendel, Come-back bag, réalisé à partir d'une dizaine de sacs de fruits thermiquement pressés, 40 x 34 cm © Stefanie Brendel, photo Anna Eckold

Stefanie Brendel, Come-back bag, réalisé à partir d’une dizaine de sacs de fruits thermiquement pressés, 40 x 34 cm © Stefanie Brendel, photo Anna Eckold

Le musée des Archives du Bauhaus de Berlin présente jusqu’au 5 septembre 2016 une exposition particulièrement intéressante consacrée au design textile contemporain.

Vom Experiment zur Serie s’attache à mettre en valeur le processus d’expérimentation, des premières recherches, souvent artisanales, à la production en série. Conçue en partenariat avec le département de design textile de l’école supérieure d’art et de design de Burg Giebichenstein (Saxe), elle présente des travaux expérimentaux d’étudiant(e)s, et d’autres recherches qui ont donné lieu à des applications dans l’industrie.

C’est l’occasion de découvrir de nombreuses innovations, en particulier l’apport des nouvelles technologies au design textile et les textiles intelligents. On y découvre aussi plusieurs matériaux nouveaux, ainsi que des regards intéressants sur les les enjeux écologiques dans le design textile contemporain.

Design textile et nouvelles technologies


L’essor de l’impression 3D s’étend aussi au textile. L’exposition présente une robe intégralement imprimée en 3D. On doit cette prouesse à Janne Kytannen, fondateur de Freedom of creation et pionnier de l’impression 3D, qui a appliqué cette technologie à la mode dès le début des années 2000. Si le plastique qui sert de matériau de base à l’impression est très rigide, tout le savoir-faire consiste à élaborer un design qui le transforme en trame souple et fluide, qui dans une certaine mesure évoque le tricot traditionnel.

Janne Kytannen, 4 in 1 dress, robe imprimée en 3D © Bauhaus-Archiv, photo Hans Glave

Janne Kytannen, 4 in 1 dress, robe imprimée en 3D © Bauhaus-Archiv, photo Hans Glave

Janne Kytannen, 4 in 1 dress, robe imprimée en 3D © Bauhaus-Archiv, photo Hans Glave

Janne Kytannen, 4 in 1 dress, robe imprimée en 3D © Bauhaus-Archiv, photo Hans Glave

Textiles intelligents


Parmi les enjeux contemporains du design textile se trouvent les tissus interactifs. L’exposition présente un panneau étonnant, qui réagit aux mouvements de son environnement. Mis au point par Manuela Leite, Cores Vivas combine savoir-faire traditionnel et technologie contemporaine. Les deux couches de textile superposées sont tissées à la main simultanément par un système complexe de plis entrecroisés. La couche supérieure, noire, est munie de capteurs de mouvement, reliés à des fils dissimulés dans les plis du tissage : lorsque qu’un mouvement se produit à proximité, les capteurs transmettent un signal au moteur, pour soulever le tissu sombre et révéler les couleurs vives du dessous.

Manuela Leite, Cores vivas, panneau textile interactif © Manuela Leite, video Franz-Paul Senftleben

Si Manuela Leite présente ici une vision poétique et expérimentale des motion textiles, ils pourraient, à l’avenir, apporter des solutions intéressantes pour l’habillement sportif, militaire ou spatial, voire même pallier certains handicaps.

Nouveaux matériaux


Vom Experiment zur Serie présente par ailleurs des recherches sur les matériaux innovants. Le travail de Qmilch notamment, est aussi innatendu qu’ingénieux, puisque cette société allemande, créée en 2011, transforme le lait périmé en fibre textile. La caséine, protéine du lait, est associée à d’autres matériaux comme de la cire d’abeille ou du zinc, pour créer un fil solide et soyeux, renouvelable et biodégradable, dont les champs d’application sont divers : habillement, décoration, technologies automobile et médicales.

Qmilk®, fil à base de caséine, Qmilch GMBH © Qmilch, photo Matthias Ritzmann

Qmilk®, fil à base de caséine, Qmilch GMBH © Qmilch, photo Matthias Ritzmann

L’industrie automobile est particulièrement féconde en innovations textiles. L’entreprise BMW a par exemple mis au point une fibre à base de carbone, dont le musée du Bauhaus expose les stades préliminaires de transformation. Des molécules de polyacrylonitrile sont chauffées à très haute température (1800°C), pour créer un fil extrêmement fin (7 microns) et très résistant. Ces fibres sont mélangées avec de l’epoxy injectée sous haute pression, puis moulées afin de former un matériau aussi résistant que l’acier mais deux fois plus léger.

BMW a conçu l’habitacle de son véhicule électrique I3 intégralement grâce à ces fibres de carbone. La légèreté du matériau contribue à accélérer les performances du véhicule et à diminuer sa consommation de carburant.

BMW, Stades préliminaires de la transformation des fibres de carbone, destinées au moulage de pièces automobiles © BMW AG

BMW, Stades préliminaires de la transformation des fibres de carbone, destinées au moulage de pièces automobiles © BMW AG

BMWi, la branche de BMW tournée vers la durabilité et les véhicules écologiques, a associé ce principe de moulage à haute pression à des fibres végétales. Pour l’habillage des portes et des tableaux de bord, les designers textiles ont mis au point un matériau à base de fibres de kénaf, une espèce de chanvre subtropicale : les fibres, associées à des bioplastiques, sont moulées, chauffées et pressées. Il en résulte un matériau très léger (180g/m2), ressemblant à une feutrine rigide. Si la transformation de fibres végétales en textile n’est pas nouvelle, elle permet en revanche de fournir une base de matière première renouvelable.

BMWi, Revêtement moulé à base de fibres de kénaf, utilisé pour l'intérieur des véhicules BMWi. 75 x 37 cm © BMW AG

BMWi, Revêtement moulé à base de fibres de kénaf, utilisé pour l’intérieur des véhicules BMWi. 75 x 37 cm © BMW AG

En raison de sa légèreté de sa durabilité, ce matériau ouvre un large horizon d’applications ; c’est d’ailleurs une recherche similaire qui est à l’origine de la Hemp Chair de Werner Aisslinger.

Textiles écologiques et durables


La transformation de fibres végétales en fibres textiles semble permettre des variations illimitées sur la matière première. C’est ce que l’on découvre grâce à la série de Katharina Jebsen, I did it my way! qui propose une approche écologique et expérimentale de la transformation d’aiguilles de pin en fibre textile. L’aiguille de pin, matériau local qui se renouvelle rapidement, fait l’objet d’un processus de transformation à la fois rudimentaire et ingénieux : il s’agit d’extraire les fibres contenues dans chaque aiguille, une à une, et de les presser pour former une pâte homogène et brute. L’artiste la mélange ensuite à du papier recyclé et de la résine, qui lui confèrent toute une palette d’effets et plus de solidité.

Katharina Jebsen, premières étapes du processus transformation des aiguilles de pin © Katarina Jebsen

Katharina Jebsen, premières étapes du processus transformation des aiguilles de pin © Katarina Jebsen

Katharina Jebsen, aiguilles de pin à différents stades de transformation. Diamètre 6 cm. © Katarina Jebsen, photo Matthias Ritzmann

Katharina Jebsen, aiguilles de pin à différents stades de transformation. Diamètre 6 cm. © Katarina Jebsen, photo Matthias Ritzmann

Ce matériau se prête ensuite à toutes sortes de techniques textiles classiques puisqu’il peut être gaufré, tricoté ou brodé. Le contraste entre la rudesse du matériau et la préciosité du travail est alors saisissant.

Katharina Jebsen, matériau à base d'aiguilles de pin pressées et de papier recyclé, gaufré et stabilisé avec une résine époxy. Echantillon 16x12cm © Katarina Jebsen, photo Matthias Ritzmann

Katharina Jebsen, matériau à base d’aiguilles de pin pressées et de papier recyclé, gaufré et stabilisé avec une résine époxy. Echantillon 16x12cm © Katarina Jebsen, photo Matthias Ritzmann

L’exposition présente par ailleurs le travail de Susan Stern sur les teintures naturelles. L’artiste a commencé ses expérimentations en mettant au point des recettes à base de plantes, notamment de la garance et du réséda des teinturiers, mélangées à différents mordants, afin de constituer un répertoire de couleurs reproductibles.

Susan Stern, Values 2.0, teintures naturelles, carnet d'échantillonnage © Susan Stern

Susan Stern, Values 2.0, teintures naturelles, carnet d’échantillonnage © Susan Stern

Elle a ensuite appliqué ces recettes pour sérigraphier un répertoire de motifs géométriques, lignes et cercles, sur de la soie. L’exposition présente une sélection de ces tissus, chacun associé à la plante qui a servi pour sa teinture.

Susan Stern, Values 2.0, teintures naturelles. Impression en sérigraphie sur soie © Bauhaus-Archiv, Photo Hans Glave

Susan Stern, Values 2.0, teintures naturelles. Impression en sérigraphie sur soie © Bauhaus-Archiv, Photo Hans Glave

Ces expérimentations méthodiques ont initié un partenariat entre l’artiste et KBC, l’une des plus importantes usines textiles allemandes, qui prévoit de fabriquer une collection entièrement basée sur les teintures naturelles, un projet jusqu’alors inédit dans l’industrie textile.

L’exposition présente enfin les recherches menées par les étudiants de Burg Giebichenstein dans le cadre d’un concours organisé en 2014 en partenariat avec Grüne Werkstatt Wendland, un incubateur de design écologique. Les étudiants devaient mettre au point un sac écologique, solide et durable, à un prix raisonnable. La gagnante du concours, Stefanie Brendel, a conçu son Come-back bag à partir d’un constat inquiétant : les sacs contenant les fruits et légumes sont jetés en moyenne 20 minutes après leur achat. L’artiste a cherché à valoriser ces déchets qui n’en sont pas : en chauffant et pressant une dizaine de sacs ensemble, elle obtient un nouveau sac à forte valeur ajoutée, durable et coloré. Il est aujourd’hui produit en série et utilisé par l’université.

Stefanie Brendel, Come-back bag, réalisé à partir d'une dizaine de sacs de fruits thermiquement pressés, 40 x 34 cm © Stefanie Brendel, photo Anna Eckold

Stefanie Brendel, Come-back bag, réalisé à partir d’une dizaine de sacs de fruits thermiquement pressés, 40 x 34 cm © Stefanie Brendel, photo Anna Eckold

Ce concours a donné lieu à plusieurs autres autres expérimentations intéressantes. Magdalena Götze est partie d’un autre matériau presque brut : les couvertures de protection non tissées. Un long et patient processus de teinte, couture, gaufrage et broderie lui a permis de transformer cette matière instable en tissu résistant, durable et esthétique. Si ces opérations ont servi à en faire un produit fini et durable, il peut toutefois faire l’objet d’un processus inverse puisqu’il est entièrement biodégradable.

Magdalena Götze, sac à dos à base de couvertures non tissées teintées, cousues, gaufrées et brodées, 40 x 45 cm © Magdalena Götze, photo Armen Astratyan

Magdalena Götze, sac à dos à base de couvertures non tissées teintées, cousues, gaufrées et brodées, 40 x 45 cm © Magdalena Götze, photo Armen Astratyan

Le projet de Kristin Nebauer se concentre sur la transformation de vieux textiles et s’inspire de l’ancienne technique du papier mâché. En mélangeant des fibres de coton broyées et des bio-plastiques, elle a mis au point une pâte malléable qu’elle a moulée : après séchage, il en résulte un sac en une seule pièce, sans couture ni colle, à la fois solide, flexible, et écologique.

Kristin Nebauer, sac moulé à base de fibres de coton broyées et de bioplastiques, 37 x 30 cm © Kristin Nebauer, photo Armen Astratyan

Kristin Nebauer, sac moulé à base de fibres de coton broyées et de bioplastiques, 37 x 30 cm © Kristin Nebauer, photo Armen Astratyan

Cette exposition inédite s’interroge sur les processus d’expérimentation du design textile contemporain, et illustre comment, à partir d’expérimentations artisanales et parfois rudimentaires, les designers parviennent à créer des matériaux, des formes et des couleurs reproductibles en série. Cette exposition questionne également les enjeux actuels du design textile, et du design en général, plus que jamais voué à améliorer les conditions de vie humaine, tant des acheteurs que des producteurs, et à s’engager pour le respect de l’environnement.

Informations pratiques
Bauhaus-Archiv / Museum für Gestaltung
Klingelhöferstr.14
10785 Berlin
+49 30 2540020
www.bauhaus.de
Ouvert tous les jours de 10h à 17h, sauf le mardi

Merci à Julie B pour cette première contribution sur BED en appelant, nous l’espérons bien d’autres !

By Blog Esprit Design


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À propos de l'auteur
Julie Beauzac
Interior designer freelance, historienne de l'art chez 
Passionnée par le design, l'architecture et l'artisanat, je m'intéresse particulièrement au design éco-responsable et engagé. Je vis à Berlin, et m'émerveille au quotidien de sa créativité sans bornes.

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  1. Quelle energie et créativité !!!!Felicitations !!!!Je découvre votre blog suite à une recherche sur un textile naturel qui aurait de petites graines insérer dans la tissage connaissez vous un textile semblable ?MERCI belle journéeKrystel

  2. @ Limoan  Je ne comprend pas  ton post  « Une idée post mode » Quesaco ?  Une idée après la mode ?  Pourquoi pas une idée post design ? Cela veut il dire  implicitement  qu’il y a  eu une fin de la mode comme on a annoncé la fin de l’histoire, la fin de l’homme  ? Et cela concerne quoi concrétement? L’expo ? un projet ?

  3.  Le design textile et le design graphique sont   deux  branches du DESIGN   considérées comme mineurs  en  France   Souvent ces creatifs  n’ont même pas le nom de  designer. Ils sont  designés comme stylistes et graphistes  Nous sommes  depuis des lustres  perçu à l’international dans une tradition du   » design »  d’ameublement  hautement decorative et même hautement art decorative pour ne pas dire hautement artisanale et museale.

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